Sa majesté des
mouches / William Golding ; trad. de l'anglais par Lola
Tranec. - Paris : Gallimard, 1993. -
245 p. ; 18 cm. - (Folio, 1480).
ISBN 2-07-037480-7
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NOTE
DE L'ÉDITEUR : L'avion qui
transportait des collégiens britanniques vient de
s'abîmer dans le Pacifique. Les enfants se retrouvent seuls
sur une île montagneuse. Obéissant à
Ralph, le chef qu'ils ont élu, ils s'organisent pour
survivre. Mais, pendant la nuit, leur sommeil se peuple de
créatures terrifiantes. Et s'il y avait vraiment un monstre
tapi dans la jungle ? Sous l'impulsion de Jack, violent et
jaloux de Ralph, la chasse au monstre est
déclarée. Mais les partisans de Jack et ceux de
Ralph ne vont pas tarder à s'affronter cruellement.
❙ |
Première publication de William
Golding, le roman est paru en
1954 après qu'une vingtaine
d'éditeurs aient
rejeté le manuscrit. La traduction française est
parue en
1956. |
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Une condamnation sans appel de
l'utopie — comme projet réformiste ou
révolutionnaire. C'est une tentative de
démonstration expérimentale des effets
inéluctables de la faute originelle :
abandonnés à eux-mêmes sur une
île déserte, de jeunes enfants commettent
spontanément
— naturellement ? — le
pire : un embryon de société s'organise,
les forts dominent les faibles et le sang ne tarde pas à
couler.
Au-delà
de la fable qui a choqué en interrogeant crûment
l'innocence du jeune âge, William Golding dénonce
avec
rigueur des formes de pouvoir et d'exercice de l'autorité
qui,
telles qu'elles émergent dans l'urgence d'une situation
exceptionnelle, sont très proches de celles qui semblent prévaloir
dans les sociétés les plus policées 1.
Dans
l'île imaginée par William Golding, le pouvoir s'affirme en toute
simplicité : “ Vous m'avez
élu chef. Vous
n'avez qu'à obéir ”
(p. 99), “ il est temps que vous sachiez
vous taire et nous
laissiez
prendre les
décisions … ”
(p. 124).
Dans l'île, Jack Merridew a pour seule
ambition de
ravir le pouvoir formellement confié à Ralph.
Dans
l'île, Porcelet (Piggy) ne peut se faire
entendre,
même s'il est seul à prendre la mesure de la
situation des
enfants et à leur proposer une ligne de conduite
adaptée.
Dans l'île — ça
finit mal.
1.
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“ The real Lord of the Flies
is a tale of friendship and loyalty ” — c'est ce
qu'affirme l'historien néerlandais Rutger Bregman dans un
ouvrage récent * où il relate l'aventure de six
Tongiens âgés de 13 à 16 ans qui ont survécu
entre juin 1965 et septembre 1966 sur l'île déserte de
'Ata (dans l'archipel des Tonga). * | Rutger Bregman,
“ Humankind, a hopeful history ” translated from
the Dutch by Elizabeth Manton and Erica Moore, London :
Bloomsbury, 2020 ; “ Humanité : une histoire optimiste ” traduit du
néerlandais par Caroline Sordia et Pieter Boeykens, Paris : Seuil, 2020 |
→ Interview de Rutger Bregman sur le site du Guardian, May 9, 2020 [en ligne] → Caron Copek, “ Lord of the Flies debunked : Author tells true story of child castaways, marooned in Tonga for 15 months ”, Stuff (New Zealand), May 11, 2020 [en ligne] |
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EXTRAIT |
— Mais c'est une île
sympathique. On est montés au sommet de la montagne, Jack,
Simon et moi. C'est formidable. Il y a à boire et
à manger et …
— Des rochers …
— Des fleurs bleues …
Il commença à faire de
grands gestes.
— C'est comme dans un livre.
Aussitôt une clameur s'éleva.
— L'île
au trésor …
— Robinson
Crusoé …
— Robinsons
suisses … 1
Ralph agita la conque.
— Cette île est à
nous. Elle est vraiment sympa. On s'amusera tant que les grandes
personnes ne seront pas venues nous chercher.
☐
p. 42
1. |
La
traduction française a substitué aux titres de
deux ouvrages (Swallows
and Amazons d'Arthur Ransom et The coral island
de Robert M. Ballantyne) bien connus des lecteurs britanniques auxquels
s'adressait l'auteur, d'autres supposés plus familiers des
lecteurs français (Robinson Crusoé
et Robinsons suisses) ;
cf. ci-dessous le texte de Bernard Hamel. |
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BERNARD
HAMEL :
(…)
L'île
goldingienne est un lieu-dit, non point par un
« effet de
réel » — toponyme ou
repérage
topographique — mais parce qu'elle est un lieu
déjà dit :
- extratextuellement
par l'auteur insistant dans interviews et essais critiques sur sa
passion pour les récits insulaires (Ile Mystérieuse,
Robinson Suisse) et désignant son roman comme
détournement parodique de la Robinsonnade
Victorienne : L'île
de Corail de R.M. Ballantyne.
- intratextuellement,
par les acteurs du roman. Cette mise en abyme de titres se produit
significativement à l'ouverture et au final :
— C'est comme dans un livre.
Aussitôt une clameur s'éleva.
— L'île au
trésor …
— Hirondelles et
Amazones …
— L'île de Corail.
(Ch. II)
— Au début, on
s'entendait …
L'officier l'encouragea du menton.
— Oui, je comprends. La belle
aventure. Comme dans l'île de Corail.
Ralph fixa sur lui des yeux vides.
(Cf. XII, dernière page)
D'une
île à l'autre … Un titre
immuable et
impassible revient, mais le contenu a changé dans la grande
mutation du récit. D'abord euphorie anaphorique et
cataphorique : on a lu, on va vivre l'île de Corail.
Ils écrivent en fait un autre livre que l'officier ne peut
pas
déchiffrer ; lui aussi, nouvel arrivant, lecteur
novice, se
trompe de texte et confond le roman de Ballantyne avec Sa
Majesté-des-Mouches.
Cette
évocation ironique est une convocation. Le roman inscrit une
tradition et s'inscrit en faux contre elle, il cite à
comparaître un intertexte qu'il accuse et pervertit. A
l'île de corail, il oppose une île
fécale, à
l'île au Trésor, une île à
Bête,
à Hirondelles et Amazones, Mouches et Sauvages. Il met en
action
toute une stratégie du contre ; il prend le
contrepied de
la Robinsonnade, fait un contrepet sur le topos. Par une machinerie
relevant du puritanisme noir et de l'humour de la même
teinte, il
tente de tuer le père du livre, Robinson-le-fondateur et
tous
ses petits-fils bâtisseurs d'empires.
Les îles de Defoe,
Wyss, Ballantyne, Ransom ou Verne s'inversent dans le miroir. Ainsi,
à la geste ergothérapique, à cette
épopée du travail rédempteur qui
transforme
Robinson en « maître et possesseur de la
nature », s'oppose une introversion totale. Les
Robinsons
goldingiens se tournent les pouces et broient du noir ; le
seul
travail qui s'opère est celui du fantasme, l'espace du
dedans
occupe et occulte celui de l'effort humain.
Robinson faisait, les
enfants se défont ; Robinson
répétait
l'histoire de la conquête de la matière et
rééditait une genèse, les enfants
régressent vers des stades archaïques sociaux et
pulsionnels, ils dénaissent vers le tribal, l'oral et l'anal.
(…)
☐ « Sous le soleil
de Satan : l'insularité dans Sa
majesté-des-mouches de William Golding
», in Îles,
recueil
coordonné par Jean-Pierre Arthur Bernard, Gilles Lipovetsky,
Pierre Péju et Gérald Rannaud, Grenoble, Silex, 14 (1979),
pp. 107-108
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Lord
of the flies », Londres : Faber &
Faber, 1954
- « Sa
majesté des mouches » trad. de l'anglais
par Lola
Tranec, Paris : Gallimard (Du monde entier), 1956 ;
Paris : Le Livre de poche (Livre de poche, 2382), 1968 ; Paris
: Gallimard (Folio, 5431), 2012
- « Sa
majesté des mouches » adaptation
théâtrale par Nigel Williams trad. en
français par
Ahmed Madani, Paris : L'École des loisirs
(Théâtre), 2012
|
- William
Golding, « Chris
Martin », Paris : Gallimard (L'Imaginaire,
150), 1985
|
- Jean-Pierre
Naugrette, « Sa majesté des
mouches de William Golding »,
Paris : Gallimard (Foliothèque, 25), 1993
|
→ Bruce Lambert,
« William Golding is dead at 81 ; the author
of Lord of the Flies »,
The New York Times, June 20, 1993 [en
ligne]
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image tirée du film de Peter Brook
(1963) |
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Le roman de
William Golding a été adapté au
cinéma à deux reprises :
1963 (UK) — Lord of the flies,
réalisé par Peter Brook,
1990 (USA) — Lord of the flies,
réalisé par Harry Hook.
Le
film de Peter Brook a été tourné
à Porto
Rico avec des comédiens non professionnels. Le ton est
délibérément proche du documentaire ce
qui
accentue l'effet de quelques scènes, hautement symboliques,
où la dramatisation est exacerbée.
→ |
Olivier
Bitoun, “ Sa
majesté des mouches, un film de Peter
Brook ”, 10 décembre 2008 [en
ligne] |
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mise-à-jour : 10 septembre 2020 |
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