Pendule et
autres écrits [suivi de] Journal de signes [et de] Avec un
seul
œil / Cristóbal Serra ; trad. de
l'espagnol par
Adrien Le Bihan ; préface de Octavio Paz. - Paris :
Éd. du Félin, 1991. - 279 p. ;
23 cm. -
(Essai).
ISBN
2-86645-087-6
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OCTAVIO
PAZ
: Un
ermite.
La littérature de langue espagnole est l'image
même de
l'isolement. En France, la vie littéraire se concentre
à
Paris ; la nôtre s'éparpille en quatre ou
cinq
centres et sur deux continents, séparés par
toutes sortes
d'obstacles (pas toujours matériels). Ce n'est pas tout.
Pour le
meilleur ou pour le pire, la société
littéraire,
ce qu'on appelle « la république des
lettres », n'existe pas. Nous vivons avant ou
après
les institutions, oscillant entre la promiscuité de la horde
et
la solitude des anachorètes. Littérature de
robinsons, de
polyphèmes et d'ermites. Chacun sur son île, dans
sa
grotte ou sur sa montagne. Les uns, armés jusqu'aux dents,
sont
la terreur de la région ; les autres, inermes,
à
demi-nus, au pain et à l'eau, vivent comme Don Quichotte
lorsqu'il faisait pénitence dans la Sierra Morena.
J'ai
rencontré un de ces ermites à Palma de Majorque,
le
printemps dernier. Il ne se cache ni dans une caverne ni dans un
château. Il est séparé du monde par la
mélancolie, la timidité et l'humour. Il habite le
secret
avec autant de naturel que d'autres nagent dans le bruit. Ce n'est ni
un dragon, ni un chevalier errant, ni un philosophe gymnosophiste, ni
un sorcier. Il sait sourire et ce sourire le sépare des
hommes
modernes. Comme il convient à son inclination, il lit
Tchouang
Tseu et Ganivet, traduit (pour lui même) Blake, admire de
loin
Gomez de la Serna (un de nos polyphèmes) et, sauf
à
lui-même, ne fait de mal à personne. Il
n'écrit pas
pour publier (bien qu'il ne répugne pas à la
publication), ni pour s'explorer ni pour savoir qui il est ou ce que
c'est que le monde. Il grave sur la roche qui sert de porte
à
son ermitage un certain nombre de signes. Il sait que d'autres ermites
parcourent la région et que, peut-être, ils
s'arrêteront et déchiffreront ces signes. Il
s'appelle
Cristóbal Serra et jusqu'à présent, il
n'a
publié qu'un petit volume de poèmes en prose.
☐
Préface, pp. 3-4
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EXTRAIT |
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… mon
âme cherche à porter atteinte, à sa
façon, à la fugacité du temps.
☐
Journal de signes, Notes pour
une préface, p. 115 |
Je dois au
port d'Andratx, sur la côte occidentale de
l'île, quantités d'expériences
interrompues mais
jamais oubliées.
Je lui
dois surtout une maison proche de la mer, d'où j'ai
contemplé, pendant des années et des
années, le
phare de la jetée et cette eau vaste de l'embouchure du port
qui, au milieu des brises, avait la pureté et le
mystère
d'une mer véritable.
Je
possédais un recoin, avec une fenêtre,
où je
pouvais me livrer à la lecture et à la
contemplation.
Madame
Rebours, très portée sur les devises, avait dans
sa maison — baptisée d'un nom
anglais : The
Den —,
inscrit sur une banderole fixée au mur, le vers de
Baudelaire : « Homme libre, toujours tu
chériras
la mer. »
Moi, qui
ne voulais pas être inférieur à cette
Française, je mis aussi une banderole dans mon cagibi,
où
le cordage et la nasse faisaient bon ménage avec la palangre
et
la table en bois de pin couverte de livres. J'aillai chercher ma devise
chez Montaigne : « La liberté et
l'oisiveté sont mes qualités
dominantes ».
J'avais beaucoup lu Montaigne durant les mois de prostration et de
souffrance, et je l'avais tellement souligné que les deux
tomes
marron de Garnier faisaient horreur.
Je dois
souligner d'autres dettes :
La
première éclaboussure de la vague
légère.
Le petit
déjeuner que je prenais, dans ma jeunesse, le front
caressé par la brise …
Le
contact, tiède ou froid, de la
vénérable petite
écume de la mer qui entoure mystiquement les petites
écorces flottantes.
[…]
La
découverte du velours rouge et noir de l'oursin et de ses
verts sombres qui, parmi les piquants, semblent avoir
été
détachés d'une toile du Greco.
☐
Journal de signes,
pp. 119-121 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Péndulo y otros papeles », Barcelona : Tusquets, 1975
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mise-à-jour : 28
novembre 2007 |
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