Le Mépris / Alberto
Moravia ; trad. de l'italien par Claude Poncet. -
Paris : Librio, 1995. - 153 p. ;
21 cm.
ISBN 2-277-30087-X
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NOTE
DE L'ÉDITEUR :
Capri ! Au pied des Faraglioni,
l'île rayonne d'azur et de
sérénité. Pourtant le drame couve
entre Emilia et Riccardo. Perdu dans les méandres d'un
scénario sur l'Odyssée,
Riccardo sent sa femme se détacher de lui. Emilia ne l'aime
plus. Pire, elle le méprise.
Drôle de
coïncidence ! Riccardo voit soudain sa propre vie se
superposer à son scénario. Si Ulysse tarde
à revenir à Ithaque, c'est par crainte de revoir
Pénélope, sachant qu'il doit la
reconquérir.
Reconquérir
Emilia ! Voilà bien l'unique obsession de
Riccardo ! Emilia ! Sait-il seulement ce qu'il
l'agite ? Désenchantement ?
Ennui ? Lassitude ? Attirance secrète pour
Battista, le fastueux producteur ?
Dans “ le
ciel bleu du mépris ”, l'orage
gronde ...
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L'Odyssée
est
un monde (…) on peut en tirer tout ce qu'on
veut …
Il suffit de savoir à quel point de vue l'on se
place …
☐ p. 56 |
Emilia et Riccardo sont mariés depuis deux ans
quand Emilia cesse d'aimer Riccardo. À l'heure où
il fait ce douloureux
constat, Riccardo est engagé comme scénariste
pour une adaptation cinématographique de l'Odyssée.
La gestation du film donne lieu à d'âpres
débats
entre Riccardo, le producteur (italien comme Riccardo) et le
réalisateur (allemand) sur l'art et la manière
d'adapter
l'œuvre d'Homère à
la technique
cinématographique et à l'attente des spectateurs
de
l'époque. Pour Riccardo plus encore que pour ses
interlocuteurs,
Ulysse et Pénélope sont au cœur de la
discussion : le parallèle s'impose progressivement
avec le
dénouement qui menace son union avec Emilia.
Comme aux temps de Dante, de Pétrarque
ou de Joyce, l'œuvre
d'Homère répond, avec une vigueur et une
fraîcheur
intactes, aux attentes des uns et des autres, chacun y trouvant
matière à conforter ses visées ou
à nourrir
ses inquiétudes. Riccardo
pour sa part tente d'y relever de quoi détourner la
colère des dieux, regagner la confiance et l'amour d'Emilia.
“ Brusquement, surgi
on ne sait d'où, le souvenir revint à
ma mémoire d'un passage du dernier chant de L'Odyssée où
Ulysse, pour prouver son identité, décrit
minutieusement
le lit conjugal. Pénélope reconnaît
alors son
époux, pâlit, s'évanouit à
demi et enfin se
jette à son cou en pleurant et en lui disant ces mots que je
connais par cœur pour les avoir lus et relus tant de fois et
répétés en
moi-même :
Ah ! contre moi ne t'irrite pas, Ulysse
Qui en toutes circonstances et toujours t'es
montré
Le plus sage des hommes. Au malheur
Nous ont condamnés les dieux qui ne
voulurent point
Que nous puissions côte à
côte
Jouir de nos vertes années en fleur
Et qu'avec le temps, peu à peu
L'un voie blanchir la chevelure de
l'autre …
Je ne savais malheureusement pas
le grec, mais je devinais que la traduction de Pindemonte
n'était pas fidèle, car elle
ne reproduisait rien de la beauté naturelle
du texte originel. Pourtant ces vers, même dans leur
expression emphatique me plaisaient particulièrement
à cause du sentiment qui y transparaissait. Il
m'était arrivé en les lisant de les comparer aux
vers de Pétrarque dans le sonnet bien connu qui commence
ainsi :
L'Amour nous avait montré un port
tranquille
et finit par le tercet :
Et
sans doute elle
m'aurait répondu
En soupirant quelque sainte parole
Avec nos visages changés tout
comme sa chevelure et la mienne.
Ce qui
m'avait frappé alors, chez Homère comme chez
Pétrarque, c'était le sentiment d'un amour
constant et indestructible que rien ne pouvait
ébranler ni refroidir, pas même le
temps. ”
— pp. 101-102.
Plus que des protagonistes du roman,
questions et réponses semblent surgir de
l'île ; dans ce rôle de deus
ex machina, Capri
— évoquée par Moravia ou filmée par Godard — est insurpassable
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EXTRAIT |
Soudain,
à un tournant, nous apparurent les Faraglioni et je fus
content
d'entendre Emilia pousser un cri de surprise et d'admiration.
C'était la première fois qu'elle venait
à Capri et
jusqu'ici elle n'avait pas ouvert la bouche. De la hauteur
où
nous étions, les deux grands rochers rouges surprenaient par
leur étrangeté, semblables, sur la surface de la
mer,
à deux aérolithes tombés du ciel sur
un miroir.
Exalté par ce spectacle, je racontai à Emilia
qu'on
trouve sur les Faraglioni une espèce de lézards
bleus
à force de vivre entre l'azur du ciel et le bleu de la mer.
Elle
m'écouta avec intérêt comme si elle
oubliait un
moment son hostilité à mon égard. Et
moi, je ne
pus m'empécher de caresser l'espoir d'une
réconciliation ; dans ma pensée, ce
lézard
bleu que je décrivais niché dans les
anfractuosités des deux rochers devenait le symbole de ce
que
nous pourrions être nous-mêmes si nous demeurions
longtemps
dans cette île ; notre âme se
revêtant d'azur,
dans la sérénité de ce
séjour marin,
après s'être peu à peu lavée
des noirceurs
de nos tristes pensées de la ville, notre âmes
d'azur,
rayonnant d'un azur intérieur, à l'image de ces
lézards de la mer, du ciel, de tout ce qui est
clarté,
pureté et joie.
☐ pp. 96-97
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Alberto
Moravia, « Il
disprezzo », Milan : Bompiani, 1954
- Alberto
Moravia, « Le
mépris » trad. de l'italien par Claude
Poncet, Paris : Flammarion (La Rose des vents), 1955
- Alberto
Moravia, « Le
mépris » trad. de l'italien par Claude
Poncet, Paris : Flammarion, 2002
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| Le roman d'Alberto Moravia a été adapté au cinéma par Jean-Luc Godard
en 1963. Après une première partie tournée à Rome, l'intrigue se poursuit dans la villa de
Malaparte à Capri, “ le monde antique, la nature avant la civilisation et ses névroses ”.
La distribution réunit Brigitte Bardot (Camille Javal), Giorgia Moll (Francesca Vanini), Fritz Lang (Fritz Lang), Jack Palance (Jérémie Prokosch) et Michel Piccoli (Paul Javal).
Le succès critique et commercial du film a quelque peu éclipsé le roman. |
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- Jean-Luc Godard,
« Godard par Godard (vol. 2) : Les
années Karina, 1960 à 1967 »,
Paris : Flammarion (Champs arts, 741), 2007
- Jean-Luc
Godard, « Le mépris » manuscrit du
scénario
d'après le roman d'Alberto Moravia, Paris : Ed. des
Saint-Pères, 2013
|
- Franco
Cagnetta, « Bandits d'Orgosolo »,
préface d'Alberto Moravia, Paris : Buchet-Chastel,
1963
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mise-à-jour
: 15 septembre 2022 |
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