La
fascination du Japon : idées reçues sur
l'archipel
japonais / Philippe Pelletier. - Paris : Le Cavalier bleu,
2012. -
269 p. : ill. ; 21 cm. -
(Idées
reçues : Grand angle).
ISBN
978-2-84670-395-6
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Les
idées
reçues sur le Japon résistent au
temps ; Philippe Pelletier en trace la
généalogie
qui, pour certaines, remonte à la fin du XVIe
siècle. Elles sont également très
largement
partagées en Europe : France mais
également Italie, Portugal, Allemagne, Italie,
Grande-Bretagne, Suisse ou Suède. Cette mise en perspective
souligne le contraste opposant nous
et eux :
le Japon serait « un monde à l'envers de
ce qui est
courant en Europe » (Alessandro Valignano en 1583,
cité p. 245). Cette vision constante, celle du
jésuite portugais Luís Froís au XVIe
siècle comme celle de notre contemporain Roland Barthes,
pourrait fonder un discours qui parle plus de l'observateur (l'Europe)
que de la réalité observée (le Japon).
Mais
derrière cet écran, Philippe Pelletier
réussit
à débusquer les traces d'un Japon divers, mal
connu ; il ouvre un large champ d'analyse où les
sujets
dits « de
société » voisinent avec
la géopolitique, l'économie et la
géographie avec
la mythologie. Derrière les idées
reçues,
figées comme pour l'éternité, il
cherche une réalité où forces et
tensions sont à l'œuvre — la
nature par exemple,
« doublement
considérée : comme
potentiellement violente et sauvage, comme également
contrôlable, sinon domesticable, par la croyance (les
cultes), le
regard (la peinture paysagère), la parole (les
prières,
les poèmes) » (p. 151).
Ailleurs, il met en
parallèle l'image traditionnelle des « geisha, poudrées
de blanc » et celle apparue dans les
dernières années du XXe
siècle des « ganguro, ou
" visages noirs " »
(p. 213).
Attestée
dès le début du XIVe
siècle par Marco Polo, l'insularité du Japon ne
cesse d'interroger les Européens ; les idées
reçues
sur ce thème ne manquent pas. En géographe,
Philippe
Pelletier rappelle les faits : « l'archipel
(…)
est (…) composé de quatre grandes îles
— Honshû, Shikoku,
Kyûshû puis,
tardivement, du point de vue politique et socioculturel,
Hokkaidô — escortées de
plusieurs milliers de
petites îles, dont 430
habitées » (p. 41).
Cette réalité géographique marque le
Japon tout au
long de son histoire et, ici encore, introduit une dynamique
fondée sur plusieurs niveaux d'opposition ou de combinaison,
entre « la mer et la terre (…)
l'itinérant et
le sédentaire (…) l'isolement et la
communauté,
l'endogamie et l'aventure, la distance et le microcosme,
l'émiettement insulaire et le regroupement
achipélagique,
l'ouverture et la fermeture » (p. 41).
Approcher
le Japon à partir des idées
reçues
se révèle, au terme du parcours, une
méthode
fructueuse, ne serait-ce que par l'étendue et la
portée
des questions qu'elle incite à poser.
❙ |
Philippe
Pelletier, docteur en Géographie et
diplômé en Langue et Civilisation
Japonaises, est spécialiste du Japon où il a
résidé plus de huit ans au
total. Il est professeur à l'université Lyon 2 et
à Sciences Po Lyon. |
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EXTRAIT |
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Le
Japon est fait d'îles diverses, réparties en
soixante-six « royaumes ».
☐
Alessandro Valignano, Sumario de las cosas de
Japón, 1583
cité
en épigraphe, p. 41 |
L'île au Japon n'a pas tout à fait le
même
sens qu'ailleurs. Dans l'étymologie latine, insula, à
l'origine du mot île, renvoie explicitement à
l'isolé. Elle suppose l'éloignement, le repli, la
non-accessibilité, l'obstacle. En japonais, shima désigne
à l'origine non pas l'île, comme de nos jours,
mais la
communauté villageoise. On trouve encore ce sens en Okinawa,
et
même dans la toponymie du Japon central avec le nom des
villages
se terminant en -shima bien
qu'étant loin de la mer. Les mafiosi yakuza l'utilisent
pour parler de leur territoire.
La synonymie entre la communauté ancestrale et
l'île
est donc posée d'emblée au Japon, lointain
héritage des premiers habitants qui vinrent peupler
l'archipel
d'îles en îles. La communauté insulaire
— un pléonasme en japonais,
donc — n'en
est pas moins traversée par les tensions
inhérentes
à tout groupe humain, ici exacerbées par les
conditions
surinsulaires. Une petite île ne se confond pas toujours avec
un
seul village ou une seule commune. Les tensions et les oppositions
entre plusieurs villages d'une seule même île et de
caractères différents peuvent être
vives.
L'une des
étymologies possibles de shima souligne
l'étroitesse et la petitesse de l'île (ma =
espace ; shi =
étroit). La petite île voit son espace
bouché et
son horizon immense. La sensation d'entassement et d'enfermement
accentue l'antagonisme latent entre la communauté des
pêcheurs et celle des agriculteurs, entre les
itinérants
et les sédentaires … Les mascarades, si
nombreuses
dans les petites îles éloignées,
constituent un
moyen d'évitement et de protection pour que la vie sociale
soit
encore possible, une façon d'échapper au regard
et
à la surveillance de l'autre en y substituant provisoirement
une
autre image, une autre identité. Elles constituent l'un des
fondements de la culture du regard de l'autre — dans
les
deux sens de l'expression : réceptionner le regard
de
l'autre mais aussi le façonner.
On
pourrait contester l'hypothèse de la quintessence insulaire
du
Japon et critiquer le saut d'échelle consistant à
passer
de la petite île éternelle à la grande
ville
actuelle, par exemple, nonobstant tout changement possible de nature.
Certes, il faut se méfier de tels raccourcis. Mais le
fonctionnement même de la société
japonaise, ses
références, ses dessins, son imaginaire nous
renvoient
sans cesse à l'île, physiquement ou
métaphoriquement.
☐ Le Japon et le mythe de
l'île absolue, pp. 44-45 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « La
fascination du Japon : idées reçues sur
l'archipel
japonais » nouv. éd. revue et
augmentée,
Paris : Le Cavalier bleu
(Idées reçues : Grand angle), 2018
|
- «
L'insularité dans la mer intérieure
japonaise », Talence :
Centre de recherche des espaces tropicaux (Îles et archipels,
16), 1992
- « La
Japonésie : géopolitique et
géographie
historique de la surinsularité au
Japon »,
Paris : CNRS éditions (Espaces et milieux), 1997
- « Dans
les flots de l'Ao-Shio entre Japon et Corée : de
l'îlot sacré à l'îlot
disputé », in Dominique Guillaud, Maorie
Seysset et
Annie Walter (éd.), Le voyage
inachevé … à Joël
Bonnemaison, Paris : ORSTOM, PRODIG,
1998
- « Îles
éloignées, passages obligés :
le rôle
de la surinsularité dans la civilisation
japonaise »,
in Anne Meistersheim (éd.), L'île
laboratoire, Ajaccio : Alain Piazzola,
1999
- «
Trois relais surinsulaires pour le " finisterre "
japonais
», in Nathalie Bernardie et François Taglioni
(dir.), Les dynamiques
contemporaines des petits espaces insulaires : de
l'île-relais aux réseaux insulaires,
Paris : Karthala (Hommes et sociétés),
2005
- « Les
îles Gotô, voyage aux confins de la
Japonésie », Paris : Le Cavalier
bleu, 2015
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mise-à-jour : 11
juillet 2019 |
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