L'homme qui avait soif /
Hubert Mingarelli. - Paris : Stock, 2014. -
154 p. ; 22 cm.
ISBN
978-2-234-07486-6
|
En
1946, un soldat japonais démobilisé prend le
train
à destination d'Akira, port d'embarquement pour
l'île
d'Hokkaido où l'attend sa fiancée Shigeko. Las et
sans
ressources, il est hanté par les souvenirs de la bataille de
Peleliu et, dans la confusion d'une brève étape,
il
laisse repartir le train ; sa valise est restée
à
bord, avec le cadeau qu'il destinait à Shigeko.
Mais ni
la route pleine d'embûches ni l'espoir de retrouver sa valise
ne
parviennent à divertir les pensées d'Hisao qui
demeurent
emprisonnées dans le dédale des galeries
défensives forées au cœur de la
montagne qui domine
Peleliu. Avec son ami Takeshi, qui chantait pour apprivoiser sa peur,
Hisao a participé à l'édification de
l'obscur
réseau fortifié. Semaines ou mois d'attente
laborieuse et
aveugle jusqu'au déclenchement du combat ;
jusqu'à
l'explosion ; jusqu'à la mort de Takeshi et
jusqu'à
sa propre survie — aussi inexplicables et
injustifiables
l'une que l'autre.
Hubert
Mingarelli mène sans emphase ce
sévère contrepoint, entre la pénombre
où se
débat le survivant et les ténèbres
où il pense avoir perdu son âme.
❙ |
Hubert Mingarelli, né
en Lorraine en 1956 est mort à Grenoble le 26 janvier 2020.
Engagé dans la Marine nationale à dix-sept ans,
Hubert
Mingarelli a connu le temps des essais nucléaires
français aux Tuamotu — une expérience
qui nourrit
plusieurs nouvelles du recueil “ Océan Pacifique
”
(Seuil, 2006) qui dénonce aussi sobrement que vigoureusement
les
dérives de la société occidentale.
Hubert
Mingarelli a obtenu le prix Médicis 2003 pour Quatre Soldats. |
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EXTRAIT |
Dans la montagne, après que Takeshi eut
raconté ce
qu'il avait vu dehors, et parlé des bateaux qui
étaient
partis, ils s'endormirent finalement. Hisao dormit mal, par
à-coups. Plusieurs fois Takeshi l'avait senti bouger.
À
un moment il l'avait vu se dresser sur un coude. En se
réveillant, quelques heures plus tard et avant Takeshi,
Hisao
alla plus vite que d'habitude boire dans les seaux. Il but à
grand coups, il se mouilla la tête, la poitrine, il respirait
vite. Takeshi l'avait rejoint, et avant de boire, il dit :
« Demande à travailler aux wagonnets,
porte-toi
volontaire, tu verras la lumière du jour, ça te
fera du
bien, ça m'a fait du bien. » Hisao
faisait mine d'y
réfléchir. Takeshi but un grand coup et
dit :
« Tu verras aussi comme on est loin dans la
montagne. Et tu
ne pourras même pas compter les galleries tellement ils en
ont
creusé derrière nous. Elles aussi elles nous
protégeront. »
Ils
finirent de boire, de se laver, et allèrent toucher leur
ration
de riz et de poisson séché. Ils en
mangèrent une
partie et retournèrent sur le front de taille. Ils virent
les
dos couverts de poussière jaune. Il sentirent la sueur et
l'âcre odeur de l'urine. On leur passa les pics et les
pelles,
sans un mot. Ils creusèrent dans la montagne.
C'était le
jour, c'était la nuit. Comment le savoir. Ils cognaient,
frappaient, la roche éclatait. Ils sentaient les vibrations
des
manches en bois jusque dans la nuque. Il y avait longtemps que leurs
mains ne leur faisaient plus mal. Elles avaient saigné au
début, avaient cicatrisé, avaient
saigné encore,
et finalement étaient devenues fortes. Les muscles de leurs
bras
s'étaient endurcis aussi. Mais les vibrations transmises par
le
longs manches en bois jusque dans la nuque, ça, il n'y avait
rien pour s'y faire.
Hisao
ne se porta pas volontaire au déblaiement, car il croyait
Takeshi sur parole qu'ils étaient loin dans la montagne, et
que
d'innombrables galeries avaient été
creusées
derrière eux. Mais il avait trop peur de voir de ses propres
yeux, la mer sans les bateaux.
☐ pp. 63-64 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « L'homme qui avait soif », Paris : J'ai lu (J'ai lu, 10768), 2015
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Peleliu est une île d'une quinzaine de km2
dans l'archipel de Palau en Micronésie. La bataille qui y
opposa
Américains et Japonais à l'automne 1944 compte
parmi les
plus meurtrières de la seconde guerre mondiale ;
cette
bataille, inscrite dans une stratégie souvent
contestée,
a donné lieu à de nombreuses publications aux
Etats-Unis
(où, semble-t-il, d'éventuels travaux japonais
n'ont pas
été traduits) et, dans une moindre mesure, en
France. Les références qui suivent
ne prétendent pas à l'exhaustivité.
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- Bobby
C. Blair and John Peter DeCioccio, « Victory at
Peleliu : the 81st infantry division's Pacific
campaign », Norman : University of Oklahoma
press, 2011
- Eric
M. Hammel, « Last man standing : the 1st
Marine
Regiment on Peleliu, September 15-21, 1944 »,
Minneapolis : Zenith press, 2008
- Harry
A. Gailey, « Peleliu, 1944 »,
Annapolis
(Maryland) : Nautical & Aviation publishing company of
America, 1983
- Ann Owens
Gilliland, « Peleliu
remembered », Fort Worth : Booker
publications, 1994
- James H.
Hallas, « The devil's anvil : the assault
on
Peleliu », Westport (Conn.) : Praeger, 1994
- Frank
O. Hough, « The assault on
Peleliu »,
Washington : Historical division, Headquarters U.S. Marine
corps,
1950
- George P.
Hunt, « Coral comes high », New
York : Harper & brothers, 1946
- Jim
Moran and Gordon L. Rottman, « Peleliu
1944 : the
forgotten corner of hell », Westport
(Conn.) : Praeger,
2004
- Jean
Rolin,« Peleliu »,
Paris : P.O.L,
2016 ; Paris : La Table ronde (La Petite vermillon,
461), 2019
- Eugene
B. Sledge, « With the old breed, at Peleliu and
Okinawa », New York : Presidio press,
2010 ;
« Frères d'armes »
trad. par Pascale Haas,
Paris : Les Belles lettres, 2019
- Bill
Sloan, « Brotherhood of heroes : the
Marines at
Peleliu, 1944, the bloodiest battle of the Pacific
War »,
New York : Simon & Schuster, 2005
- Derrick
Wright, « To the far side of hell : the
battle for
Peleliu, 1944 », Tuscaloosa : University of
Alabama
press, 2005
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mise-à-jour : 19
janvier 2022 |
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