Malgorn le baleinier / Emile
Condroyer. - Paris : Les Éd. de la Nouvelle France,
1946. - 275 p. ; 19 cm.
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AUGUSTE-PIERRE
SEGALEN :
La plupart des romans de Sein sont ceux de la
fidélité à l'île et de
l'aspiration au retour pour ceux qui ont dû la quitter. C'est
un roman de l'évasion qu'Emile Condroyer (1897-1950) publia
en 1946, dans une collection pour la jeunesse, sous le titre de Malgorn
le Baleinier. Il se passe sous Louis-Philippe en 1841. Trois
siècles plus tôt, un Malgorn est venu du continent
et a fait souche à Sein. Son lointain descendant doit-il
à cette hérédité de se
sentir “ perdu sur ce
caillou ” ? Il est las de la
pêche toujours recommencée autour de
l'île, il ne partage pas l'hostilité de ses
compagnons au changement, par exemple à ce phare
allumé depuis deux ans qu'ils exècrent, et qui le
fascine. Il aspire confusément à des horizons
nouveaux, à des “ ailleurs ”.
☐ « L'île
de Sein et les écrivains », in Les Cahiers de l'Iroise,
n° 4, oct.-déc. 1983
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EXTRAIT |
Que pouvaient-elles pour les
hommes, ces îles à peine aperçues,
dentelures éparses sans densité, parfois
baignées par la lumière jusqu'à s'y
diluer, parfois montrant à travers un cristal d'air des
taches sombres bleutées, des macules noires de
lave ? On doutait de leur existence. Il n'était de
certitude que celle de la mer où elles dérivaient
un moment puis s'enfonçaient. Le capitaine, entré
depuis longtemps dans un monde à part, ne leur accordait
plus qu'une passagère valeur de repères, croix
abstraites de degrés. Pour d'autres, elles se
recréaient mieux dans le souvenir que devant leurs yeux. Et
chez ceux qui les voyaient pour la première fois dans leur
nudité vaporeuse, elles excitaient des rêves sans
contingences géographiques, seulement fixés sur
leur qualité essentielle d'île et teints aux
couleurs des oranges, des cocotiers, des rocs volcaniques, des chairs
olivâtres ou d'ébène. De toutes
manières, elles les imprégnaient toujours pendant
cette descente des alizés où le Margat courait
sous toutes ses voiles. Les récits dans les soirs d'eau
phosphorescente s'envolaient d'elles pour aller se poser sur leurs
sœurs des antipodes.
Malgorn, lui, avec la pensée de son île
personnelle,
son antique caillou gris raclé à l'âme,
s'étonna d'abord que celles-ci fussent si hautes, si
variées, si intangibles et chantantes sur la mer chaude.
Puis il
ne s'en préoccupa plus que pour se demander si l'autre,
l'inconnue truffée d'un trésor, leur ressemblait.
Un
jour, il la verrait aussi se condenser sur l'horizon, le
beaupré
la lui montrerait, tendu comme un index. Que serait-elle ?
☐
pp. 181-182
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Malgorn
le baleinier » ill. en coul. de Pierre Watrin,
Paris :
Ed. de la Nouvelle France (La Vie exaltante, 36), 1946
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- « Dans
les houles d'Islande », Paris :
Éd. de la Nouvelle revue critique, 1930
- « Les hommes dans la tempête »,
Paris : Éd. de la Nouvelle revue critique, 1930
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mise-à-jour : 5
août 2011 |
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