Les hommes dans la
tempête / Emile Condroyer. - Paris : Éd.
de la Nouvelle revue critique, 1930. - 254 p.-[8] p.
de pl. ; 19 cm. - (La vie d'aujourd'hui, 11).
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L'ouvrage est
dédié “ à
M. Fernand Crouton, bâtisseur de
phares ” ; c'est un hommage
à tous ceux, gardiens, ingénieurs, marins
assurant le service des relèves, sauveteurs, dont
l'activité n'avait qu'un objectif — assurer la
sécurité de la navigation à la pointe
de Bretagne.
Sein, Ouessant,
Molène, les îles sont aux avant-postes ;
c'est sur leur sol ou dans leurs eaux que sont établis les
premiers feux que reconnaissent les marins approchant la
terre ; ce sont elles surtout qui engendrent et forment les
hommes qui assurent, en toutes circonstance, le bon fonctionnement du
système de veille et de secours.
Intimement convaincu de
l'excellence de cette cause, Emile Condroyer a mené une
solide enquête auprès des
intéressés, des communautés insulaires
et du Service des phares et balises ; il s'en prend
à l'occasion à la littérature, “ qui ne se donne pas de gants pour
interpréter la vie [des] gardiens de
phares ” et qui, “ forte
des droits de l'imagination … réorganise
tout à sa manière ”.
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EXTRAIT |
Engoncé dans un gilet de sauvetage,
ficelé sur le sac transbordeur car les secousses sont trop
brutales pour qu'on se permette de s'asseoir simplement ainsi qu'on
fait avec les autres cartahus, ce n'est pas autrement qu'on s'achemine
par la voie des airs vers Ar-Men.
D'abord le sac s'élève
verticalement. Entre les pieds ballants, le navire diminue de taille,
les silhouettes des marins se tassent. On atteint presque de la sorte
à la hauteur de la pomme des mâts. Pendu
à l'élingue, on n'a pas plus fière
allure qu'un cheval hissé au fil d'une grue de
transatlantique.
Mais soudain le sac est tiré vers le
phare par saccades. Il en reçoit tout un
ébranlement. Dans la demi-minute d'arrêt, on
aperçoit la mer tourbillonner et fuir en dessous. Le navire
est déjà loin. On se sent terriblement seul entre
ciel et eau, beaucoup plus près de l'eau que du ciel.
Etrange hallucination ! On dirait que sur le navire et sur le
phare tous ces gens qui vous suivent de l'œil ont un petit
rire sardonique.
Brusquement le sac tombe. Il s'arrête
brutalement. Ouf ! Il remonte.
Encore une saccade latérale. Il
retombe. Il remonte. Ouf ! Ouf ! Encore une saccade.
Le phare approche. Le sac retombe. Les vagues se
trémoussent. Il remonte. Il devient diabolo, parce qu'au
gré du roulis du navire la corde se tend ou mollit. Ainsi,
pareil à l'osselet qui tourne autour d'une ficelle
brusquement roidie, un ingénieur fit le grand soleil. Il en
eut l'estomac décroché pendant cinq mois.
Mais tout a une fin. Dans une dernière
saccade, le sac arrive à toucher le mur du phare. Une
chute : on se retrouve sur la plate-forme que les vagues
lèchent avec une hypocrisie de squale qui se renverse.
☐
pp. 116-117
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Les
hommes dans la tempête », La
Rochelle : La Découvrance, 2007
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- « Dans
les houles d'Islande », Paris :
Éd. de la Nouvelle revue critique, 1930
- « Malgorn le baleinier »,
Paris : Éd. de la Nouvelle France, 1946
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mise-à-jour : 11
juin 2008 |
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