Skerrett / Liam
O'Flaherty ; traduit de l'anglais (Irlande) par M. Horel. -
Paris : Jean Picollec, 1981. - 268 p. ;
21 cm. - (Bibliothèque celtique).
ISBN 2-86477-036-9
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NOTE
DE L'ÉDITEUR : Dans cet
ouvrage âpre et rude comme les îles d'Aran
[…] qui lui servent de cadre, Liam O'Flaherty nous conte la
lutte d'un homme, Skerrett.
Skerrett se bat contre une
nature hostile, doit faire face à des tragédies
familiales, se heurte à un establishment
soupçonneux et conformiste, se frotte avec vigueur
à une population fruste et méfiante.
Par Skerrett se font jour les
conflits avec la religion et sa mentalité
quasi-médiévale et se manifeste le
début de la prise de conscience contre la
présence anglaise — l'action se déroule
autour des années 1900 — par notamment la
défense du gaëlique.
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EXTRAIT |
Skerrett, les yeux clignotants, regarda le rocher
lointain qui paraissait surgir tout à coup de
l'Océan pour disparaître, un instant plus tard,
avec le plongeon du navire dans le creux des vagues. Son front se
plissait tandis qu'il regardait au loin. Puis, se protégeant
les yeux avec le bras, il parcourut du regard les flots qui
moutonnaient, la montagne noire qui descendait à pic,
à l'arrière du navire, la ligne basse et grise du
continent qui fuyait vers le nord-ouest. Tout était lugubre,
froid, sauvage, malgré la beauté de la mer
ensoleillée couronnée d'écume,
malgré l'odeur puissante de l'eau salée
apportée par le vent.
« Ça
m'a l'air d'être un coin particulièrement sauvage,
fit Skerrett d'un air sombre.
—
Ça, pour sûr ! dit l'infirme. Et
pourtant, c'est un vieux pays qui tient une place d'honneur dans
l'histoire des hommes. On l'appelle l'île des Saints et des
Savants dans les livres de légendes. Au début des
temps chrétiens, elle était habitée
par des saints, qui l'ont couverte presque entièrement
d'églises et de monastères. Puis les Danois
pillards et les Anglais voleurs sont venus. Ils ont tout
détruit. Ils ont brûlé les saints dans
l'huile bouillante et, aujourd'hui, il n'y a plus que des pauvres gens
dans l'île, à part quelques protestants que le
gouvernement a mis là pour qu'ils aillent
droit. »
L'homme parlait énergiquement.
« Vous
habitez l'île ? demanda Skerrett.
—
Pour sûr, fit l'autre. Je suis Pat Coonan, le percepteur.
J'habite à Ardglas, là-bas où nous
allons débarquer. C'est la principale localité de
l'île. Bientôt, ce sera une ville. C'est vous,
monsieur Skerrett, le nouveau maître d'école de
Ballincarrig, n'est-ce pas ? J'ai entendu dire que vous
arriviez. On vous a montré à moi, hier, dans la
Grand'rue de Galway. »
Skerrett fit un signe d'assentiment sans regarder Coonan. Ses yeux
étaient toujours fixés sur le rocher, et son
visage restait sombre.
« Vous
ne savez pas un mot d'irlandais ? »
continua Coonan.
Skerrett se tourna vers lui d'un air furieux. Coonan était
grand et maigre, il avait un visage brun et
décharné et des yeux fouineurs. Bien
qu'âgé seulement d'environ quarante ans
— cinq ans de plus que Skerrett — une alimentation
insuffisante, les privations, le climat venteux de l'île
avaient déjà ratatiné son corps.
Skerrett semblait d'une race entièrement
différente, lourd, bien en chair, placide, lent dans ses
mouvements, dominateur.
« Je
ne sais pas du tout l'irlandais, dit-il. Je suis du comté de
Limerick. On ne parle pas l'irlandais là-bas.
—
Eh bien ! c'est dommage, dit Coonan, parce que, si vous ne
savez pas l'irlandais, votre travail ne sera pas facile à
Ballincarrig. Autour d'Ardglas, où j'habite, les gens
parlent anglais. Bien sûr, c'est du mauvais anglais, mais
nous nous débrouillons avec. Nous prenons l'habitude de le
parler avec les gardes-côte, les gendarmes et les
fonctionnaires qui vont et qui viennent. Dans l'ouest de
l'île, les gens ne parlent pas du tout anglais. Certaines
personnes, par-ci, par-là, le
comprennent. »
Il jeta un regard derrière lui, aux îliens de la
cale, et ajouta platement :
« Dans
le coin où vous allez, " ils " sont
à moitié sauvages. Ils ne parlent pas un seul mot
d'anglais. »
Skerrett le regarda d'un air arrogant, caressa sa barbe, rejeta
brusquement en arrière ses puissantes épaules et
dit d'une voix grondante :
« Je
le leur ferai apprendre avant longtemps. »
☐ Chapitre
premier, pp. 8-10
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Skerrett »,
London : Victor Gollancz, 1932
- « Skerrett »
traduit de l'anglais (Irlande) par M. Horel, Paris : Delamain
et Boutelleau, 1948
|
- « À mes ennemis,
ce poignard », Monaco :
Éd. du Rocher (Anatolia), 1998
- « Barbara
la rousse, et autres contes vert sombre »,
Rouen : Librairie Elisabeth Brunet, 2007
- « Famine »,
Paris : Le Livre de poche (Biblio, 3026) , 1983
- « Insurrection »,
Paris : Le Livre de poche, 1966 ; Paris :
Payot et Rivages (Rivages poche, 454), 2004
- « L'âme noire »,
Monaco : Éd. du Rocher (Anatolia), 1999 ;
Monaco : Le Serpent à plumes (Motifs, 215), 2004
- « L'assassin »,
Paris : Payot et Rivages (Rivages noir, 247), 1996
- « L'aviron »,
Combs-la-Ville : M. Imbert, 2001
- « L'extase
d'Angus », Arles : Actes sud, 1985
- « L'île
de colère », Paris : Atlas, 1947
- « La
maison de l'or », Paris : Grasset, 1932
- « La
femme fardée » in Trois morts salées
éd. par Patrick Reumaux, Rouen : Librairie
Elisabeth Brunet, 2007
- « Le
dénonciateur », Paris : Stock,
Delamain et Boutelleau, 1928 ; « Le mouchard »,
Rennes : Terre de brume (Bibliothèque irlandaise),
2003 ; Paris : Belfond (Vintage), 2019
- « Le guide du touriste en Irlande »,
Paris : Anatolia, 199
- « Le
martyr », Paris : Éd. de la
Nouvelle revue critique, 1948
- « Le
puritain », Paris : Gallimard, 1937
- « Le
réveil de la brute », Paris :
Stock, Delamain et Boutelleau, 1930
- « Les
amants », Monaco : Éd. du Rocher
(Anatolia), 2000
- « Mr.
Gilhooley », Paris : S.E.P.E., 1948
- « Poils
et plumes », Paris : Klincksieck (De Natura
rerum), 2019
|
- Peter
Costello, « Liam O'Flaherty's
Ireland », Dublin : Wolfhound press, 1996
- Paul A.
Doyle, « Liam O'Flaherty », New
York : Twayne, 1971
- Hedda
Friberg, « An old order and a new : the
split world of Liam
O'Flaherty's novels », Stockholm : Almqvist
& Wiksell (Acta
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- Angeline A.
Kelly, « Liam O'Flatherty the
storyteller », London : Macmillan, 1976
- James Howard
O'Brien, « Liam O'Flaherty »,
Lewisburg (Pa.) : Bucknell university press, 1973
- Patrick
F. Sheeran, « The novels of Liam
O'Flaherty : a study
in romantic realism », Dublin : Wolfhound
press, 1976
- John
N. Zneimer, « The literary vision of Liam
O'Flaherty », Syracuse (N.Y.) : Syracuse
university
press, 1970
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mise-à-jour : 26
avril 2019 |
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