L'homme des îles
/ Tomás O'Crohan ; trad. du gaélique par Jean
Buhler et Una Murphy. - Paris : Payot, 1994. - 308 p. :
cartes ; 19 cm. - (Voyageurs, 195).
ISBN 2-228-88818-4
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| … vous saurez tout sur l'île d'il y a bien longtemps quand vous lirez The Islandman.
Elisabeth O'Sullivan, Lettres de la Grande Blasket, p. 46 |
Né en 1856, mort en 1937, Tomás
O'Crohan, pêcheurs et paysan des îles Blasket, écrivit
L'homme des îles en gaélique vers 1925, sous
forme de lettres à un ami. Témoignage précis
et poignant de ce qu'était alors la vie des quelque 160
habitants de la « dernière paroisse avant l'Amérique »,
L'homme des îles suscita dès sa parution
une émotion considérable, seulement comparable
à celle qui salua en France Le Cheval d'orgueil.
Heinrich Böll, en Allemagne, s'en fit le traducteur enthousiaste.
Le livre est aujourd'hui unanimement tenu pour un classique :
le chef-d'œuvre de la littérature gaélique du
XXe siècle.Dans sa simplicité même,
O'Crohan est le porte-parole d'une culture que les misères
de l'histoire ont vainement tenté d'effacer. Rude et tendre,
naïf et plein d'humour, il nous présente famille
et voisins en traits inoubliables. Avec lui, on chante, on boit,
on rame, on se bagarre, on souffre, on pardonne, on pêche
le homard, on chasse le lapin, le phoque, la baleine, le requin,
on découvre les sortilèges d'une civilisation baignée
d'embruns, de whiskey, de bière noire et de musique. Et
l'on rit. Beaucoup. L'homme des îles chante la liberté,
la dignité du travail, l'humilité de la condition
humaine et sa grandeur. Le gouvernement irlandais a fait évacuer
le Grand Blasket en 1953, mais l'île où Tomás
O'Crohan, l'écrivain aux mains calleuses, vécut
toute son existence, n'a pas fini de nous faire rêver. |
EXTRAIT |
Un jour, nous étions à
l'école quand un bateau arriva de Dunquin. Nous avions
un poste de garde qui signalait tous les bateaux venant à
nous, car des gens déplaisants étaient dans les
parages à l'époque, des rôdeurs et des baillis
prompts à s'emparer de tout ce qui leur tombait sous la
main et qui vous auraient laissé mourir de faim, même
s'ils allaient tous finir leurs jours dans les asiles des pauvres,
sans être pleurés par personne.
Mais ce jour-là, l'homme
du bateau n'était pas de cette trempe ; c'était
un inspecteur des écoles. A cette nouvelle, nous n'en
menions pas large. Un gars n'arrêtait pas d'aller sur le
pas de porte pour voir quand le visiteur serait en vue. Une vigoureuse
fille fut la première à le voir. Elle se rua de
la porte à sa place avec une expression d'horreur. Il
fit bientôt son entrée. On voyait ici et là
des gosses avec une main sur la bouche ; quant aux grandes
filles, l'une d'elle éclata de rire et une autre suivit
bientôt. L'inspecteur avait la tête en l'air, examinant
tantôt la paroi, tantôt les poutres du toit, tantôt
les écoliers.
—
Sainte Marie ! me glissa le Roi dans un murmure, il a quatre
z'yeux !
— Oui, lui dis-je,
et une lumière qui se reflète dedans.
— Je n'ai jamais
vu un homme pareil, dit-il.
Chaque fois qu'il tournait la
tête, une lueur étincelante brillait dans ses yeux.
A la fin, toute la bande éclata de rire ; tous les
grands et tous les petits hurlaient de peur. L'institutrice eut
tellement honte qu'elle manqua s'évanouir et l'inspecteur
ne se tenait plus de rage.
—
Il y aura un meurtre, me dit le Roi dans un souffle, je me demande
si personne a jamais vu un homme avec quatre z'yeux.
C'était la première
personne portant des lunettes que les enfants avaient jamais
vue.
L'inspecteur passa un bon savon
à l'institutrice, dans un jargon que personne ne comprit
dans la classe, ni moi ni aucun autre ; quand il eut fini
de discourir, il ramassa son sac, prit la porte, monta à
bord du bateau qui l'attendait et ne revint jamais aux Blaskets.
☐ Ch. IV, A l'école
et hors de l'école
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE Tomás O'Crohan [Tomás Ó Criomhthain, 1856-1937] | - « An
t-Oileánach : scéal a bheathadh
féin », Baile Átha Cliath (Dublin) :
Muinntir C.S. Ó Fallamhain i gcomhar le hOifig an
tSoláthair, 1929
- « The
islandman » translated from irish with an introduction by
Robin Flower, Dublin & Cork : The Talbot press, 1934
- « The islandman »,
Oxford : Oxford university press, 1978
- « L'hommes des îles »,
Genève : Favre, 1989
| | Les îles Blasket | - Robin Flower, « The
western island, or, The Great Blasket », Oxford :
Oxford university press, 1978
- Muiris Mac Conghail, « The Blaskets, a Kerry island library »,
Dublin : Country house, 1988
- Séan O'Crohan [Seán Ó Criomhthain], « A day in our life », Oxford :
Oxford university press, 1992
- Micheál O'Guiheen, « A
pity youth does not last », Oxford : Oxford univeristy
press, 1981
- Séamus Ó'Scannláin (ed.), « Poets and
poetry of the Great Blasket = Filí agus filíocht an Bhlascaoid Mhóir »,
Cork : Mercier press, 2003
- Elisabeth O'Sullivan [Eibhlís
Ní Shúilleabháin], « Lettres de la
Grande Blasket », Brest : editions-dialogues.fr, 2011
- Maurice O'Sullivan, « Vingt ans de jeunesse »,
Rennes, 1997
- Peig Sayers, « Peig : Autobiographie d'une grande
conteuse irlandaise », Le Relecq-Kerhuon :
An Here, 1999
- Pádraig
Tyers (ed.), « Blasket memories : the life of an Irish
island community », Cork : Mercier press, 1998
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mise-à-jour : 14 juin 2013 |
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