Haïti,
Kenbe la ! 35 secondes et mon pays à reconstruire / Rodney
Saint-Eloi ; préface de Yasmina Khadra. -
Neuilly-sur-Seine : Michel Lafon, 2010. - 266 p. ;
23 cm. ISBN 978-2-7499-1264-6
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Rodney
Saint-Eloi a participé
au au 6ème Salon du Livre
Insulaire (Ouessant,
19-22 août 2004)
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| J'ai
aimé cet homme [Rodney Saint-Eloi] comme on aime un compagnon
d'armes. J'ai aimé sa foi, son courage, sa longanimité,
son souci constant de maintenir son île omniprésente dans
son cœur et son esprit.
☐ Yasmina Khadra, Préface, p. 14 |
Comment désigner l'innommable, ces 35 secondes où
la terre en démence a ruiné Port-au-Prince et ses
parages, a tué et mutilé, a caché ciel et soleil
derrière un nuage de poussière noire ? Goudou-goudou ont dit les Haïtiens, ceux qui ont pu se relever et ont trouvé la force de parler.
Rodney Saint-Eloi vit à Montréal et venait de
reprendre pied sur sa terre natale — à peine le temps
d'un sourire de gratitude aux retrouvailles et le goudou-goudou
a frappé. Espace et temps disloqués. L'immeuble mitoyen
qui comptait cinq étages n'en a plus que quatre : “ le rez-de-chaussée a complètement
disparu … enfoui sous terre ? …
déplacé vers un autre lieu ? … une
fillette et une adolescente pleurent sur une
terrasse … ”. Commence une éprouvante
errance dans les décombres qu'agitent de fréquentes
répliques : effroi et piété à la vue
de corps meurtris, bonheur à retrouver des rescapés,
attente angoissée des autres … Descente aux enfers
là où fleurissait la vie : “ Ces
quartiers et ces murs n'existent plus. Je les connaissais par
cœur. Chaque maison. Chaque fenêtre. Les commerces. Les
chiens. Les arbres. Les jardins. Et la douceur de l'air. Tout est
brisé ”.
Le 18 janvier, six jours
après le cataclysme, Rodney Saint-Eloi est de retour à
Montréal. Pour dire ce qu'il a vu, éprouvé,
entendu. Pour rendre compte de l'innommable. Pour faire droit à
l'espoir. Et pour apprendre à vivre avec le souvenir de l'ombre.
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EXTRAIT |
La
nuit, ah ma première nuit sur une terre ferme ! J'ai du mal
à fermer les yeux. Je pense à toutes ces nourritures et
ces marques d'attention reçues en quelques heures. À moi
et à mon pays. À la douleur et à la joie qui se
suivent. Je voudrais chanter « Gracias a la vida »,
mais sous les décombres, il y a encore des vies coincées.
Je suis seul dans la chambre, je revois tout : l'hôtel, les
amis, le goudou-goudou, les
visages, les cadavres, la détresse, la folie, les murs, le sang,
le désarroi. Et aussi l'espoir et la lumière. Comment
peut-on vivre tout cela en une semaine ? Comment peut-on tout
ressentir en même temps, la mort et le goût extrême
de vivre avec rage chaque seconde ?
J'ouvre avant de dormir La Divine Comédie.
Je suis dans cette forêt obscure et opère une descente
dans le cantique des enfers. J'ai besoin d'emprunter cette route
profonde et sauvage, au plus fort de la nuit. Je m'arrête aux
premiers vers du chant III :
Par moi l'on va dans la cité des plaintes, Par moi l'on va dans l'éternel tourment, Par moi l'on va chez le peuple perdu.
Il est 3 heures du matin. J'éteins la lumière. La
chambre n'a pas d'issue. La fenêtre est bien trop haute. Le
plafond valse. Le sol s'ouvre avec des cris. Des prières. Des
cadavres. Une fillette danse entre deux rangées de lilas. Des
murs tombent. Des chaises rebondissent. La terre bascule. L'ombre
descend sur toute chose. L'horreur est en moi.
☐ pp. 242-243 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Graffitis
pour l'aurore », Port-au-Prince :
Imprimeur II, 1989
- « Pierres
anonymes », Port-au-Prince :
Mémoire, 1994
- « Voyelles
adultes », Port-au-Prince :
Mémoire, 1994
- « J'avais
une Ville d'eau de terre et d'arcs-en-ciel heureux »,
Port-au-Prince : Mémoire, 1999
- « Cantiques
d'Emma » accompagné des encres de Tiga,
Port-au-Prince : Mémoire, 2001
- « J'ai
un arbre dans ma pirogue », Montréal :
Mémoire d'encrier, 2004
- « Récitatif au pays des
ombres », Montréal :
Mémoire d'encrier, 2011
- « Jacques
Roche, je t'écris cette lettre », Montréal :
Mémoire d'encrier, 2013
- « Je
suis la fille du baobab
brûlé », Montréal :
Mémoire d'encrier, 2015
- « Moi
tombée, moi levée »,
Montréal : Éd. du Noroît, 2016
- « Passion
Haïti », Québec : Hamac
(Hamac-Carnets), 2016 ; Brinon-sur-Sauldre :
Grandvaux, 2019
- «
Nous ne trahirons pas le poème »,
Montréal : Mémoire d'encrier, 2019
|
- « Anthologie de la littérature
haïtienne : un siècle de
poésie, 1901-2001 » avec George Castera, Claude
Pierre et Lyonel Trouillot, Montréal :
Mémoire d'encrier, 2003
- « Nul n'est une
île : Solidarité - Haïti »
avec Stanley Péan (et al.), Montréal :
Mémoire d'encrier, 2004
- « Et
si j'étais une île », in Terra Kerguelensis Incognita
collectif illustré par Catherine Bayle, Matoury (Guyane) :
Ibis rouge, 2005
- « Poèmes »,
in Hommage aux lettres
d'Haïti, dossier
préparé par Jean-Euphèle
Milcé, La Nouvelle Revue Française,
n° 576, janvier 2006
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Sur
le site « île
en île » :
dossier Rodney
Saint-Eloi |
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mise-à-jour : 18 juillet 2014 |
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