ULRICH FLEISCHMANN (Université de Berlin) : Différente de la plupart
des littératures du Tiers Monde, l'histoire littéraire
d'Haïti est solidement établie et bien délimitée.
Depuis l'indépendance du pays en 1804, elle regroupe un
nombre impressionnant de poètes et d'écrivains
en mouvements et écoles multiples ; si au XIXe siècle
elle suit essentiellement le modèle français, au
XXe, elle acquiert une plus grande autonomie. Le début
de cette consécration remonte au siècle passé
où le concept d'une littérature nationale paraissait
indispensable à la vie intellectuelle d'une nation ;
mais la floraison des « Histoires de la littérature »
date du régime duvaliériste des années soixante
où la littérature haïtienne fut introduite
comme matière scolaire. Notons que paradoxalement cette
même époque marquait aussi la fin de la continuité
de la littérature haïtienne, car presque la totalité
des écrivains connus dut émigrer à l'étranger.
Notons également que les élèves ne peuvent
que très rarement consulter les textes mêmes car
même les plus récents sont souvent introuvables
en Haïti. […]
Écrire, dans ces conditions,
une nouvelle Histoire de la littérature haïtienne
est donc une tâche ingrate et difficile. […]
La Littérature d'Haïti
de Léon-François Hoffmann est donc forcément
un compromis, mais un compromis intelligent et intelligible.
[On peut y] distinguer trois parties : d'abord une introduction
générale qui fait connaître le pays et qui,
dès le début, initie également le lecteur
aux problèmes et particularités de la production
littéraire dans un pays pauvre où le livre ne peut
pas être une marchandise courante […]. La deuxième
partie suit grosso modo le discours établi jusqu'aux années
soixante. Avec les volumineux chapitres 9 et 10, la troisième
partie sort de ce discours traditionnel en présentant
respectivement la « littérature en diaspora »
et la « littérature en créole »
où le problème du marché inexistant ne se
pose plus (ou plus de la même manière) et où
la linéarité historique est interrompue par la
discussion des nouvelles formes de production et de réception.
[…]
En ce qui concerne le choix des
textes et des auteurs, Hoffmann mérite notre entière
admiration : qui parmi les lecteurs des histoires littéraires
traditionnelles aurait admis l'existence au XIXe siècle
de poèmes évoquant l'Afrique ou le vaudou ?
Qui aurait soupçonné que le dictateur François
Duvalier eût laissé des poèmes de qualité
médiocre certainement, mais qui permettent d'établir
encore plus clairement sa misanthropie ? Hoffmann sort des
pièces de théâtre et même certains
romans d'un oubli total et il a raison : sans une conception
littéraire dont le critère ne relève pas
d'un esthéticisme quelconque, mais d'une fonction didactique
et sociale, un tri qualitatif a peu de raisons d'exister.
Littérature d'Haïti peut être considéré
comme l'inventaire le plus complet d'une littérature vivante
refusant son ensevelissement dans les stéréotypes
des ouvrages didactiques.
☐ NOTRE LIBRAIRIE, 132, octobre-décembre 1997
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