bibliothèque insulaire

NOTRE LIBRAIRIE, n° 133, janvier-avril 1998 : Dans Mémoire d'une amnésique, Jan J. Dominique présente […] un récit de type autobiographique. L'enfance dans une famille de la bourgeoisie mulâtre lui permet de projeter un éclairage indirect sur l'avènement du duvaliérisme tout en mettant à jour les contradictions propres de cette bourgeoise, ses rapports avec d'autres classes sociales (les personnages secondaires s'y prêtent bien : enfants des domestiques, amis d'école, etc.). La période canadienne de l'adolescence correspondra à l'épanouissement de l'identité féminine et offrira l'occasion de mémoriser l'univers de l'enfance, de le questionner et surtout de l'écrire.

Yanick Lahens

EDWIGE DANTICAT : On choisit souvent un livre pour sa couverture. Quand je pris celui de Jan J. Dominique, Mémoire d'une amnésique, c'était bien évidemment parce que j'avais été attirée par son titre paradoxal. Comment une amnésique peut-elle se souvenir ? Peut-être y a-t-il une forme de mémoire particulière aux amnésiques, que seulement les autres amnésiques ou presque amnésiques partagent. J'ai été imprégnée dans mon enfance par l'oralité haïtienne, mais je ne l'avais encore jamais vue transcrite en français, surtout sous une forme aussi élaborée et élégante. Je découvrais une exploration terriblement émouvante de l'enfance, d'une relation complexe père/fille, compliquée encore par un dictateur cruel qui, en plus de son arsenal d'armes matérielles, se saisissait des contes populaires et transformait les vieux mythes en cauchemars vivants. Ainsi la légende des Tonton Macoute, les croquemitaines qui, d'ordinaire, venaient avec leur havresac chercher des enfants désobéissants, avait pris vie sous la forme de tueurs en jeans, de nervis des deux sexes qui assassineraient père et mère si le dictateur le leur ordonnait.

☐ Créer dangereusement — Chapitre 4, Les filles de la mémoire, p. 81