6ème édition du Prix du Livre Insulaire
(Ouessant 2004)
ouvrage en
compétition |
Marasa / A 20. - New
York : Rivarticollection, 2004. - 220 p. ;
20 cm.
ISBN 0-9748912-4-X
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HAÏTI
PRESS NETWORK
: […]
HPN — “ Marasa ”
est un roman à la fois poétique et
allégorique. A quoi renvoie réellement “ Marasa ” ?
A20 [Jean-François Avin] — C'est la question
qu'on me pose tous les jours. Je n'avais pas un titre à la
tête en écrivant “ Marasa ”. J'avais seulement
envie de cracher un mot coincé à la gorge. Alors,
je suis parti dans l'écriture. Etait-ce un roman ?
Je n'en savais rien. Il m'avait fallu attendre la fin pour me dire que
mon texte n'avait d'autre registre que celui du roman. Comme, dans
cette ambiance de parole éclatée, plusieurs fois
le thème de gémellité a fait surface,
le titre s'est imposé, le mot créole Marasa
signifiant jumeau. Mais tout cela n'épuise pas
l'œuvre, il lui offre un cadre par un jeu
oppositionnel : deux récits en
parallèle, deux femmes encadrant un homme, la chute des Twin
Towers à NY ... Dans le récit en
monologue intérieur, du début à la
fin, le personnage masculin se questionne sur le sens de sa relation
avec l'une des femmes. Il finira par aboutir à la conclusion
que l'issue pour eux deux ne peut être qu'une forme de
gémellité. Mais choisir le mot créole
c'est marquer aussi la singularité du lieu de ma parole.
[…]
☐
Propos
recueillis par Dominique Batraville
❙ | Poète
et professeur d’université (en Haïti et à New
York), Jean-François Avin est originaire de Petite
Rivière de l'Artibonite. |
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EXTRAIT |
La pluie. Ça aussi m'avait
manqué. Le bruit sur les toits. Ici, tous les amoureux ont
une histoire avec la pluie. Roumain
en a tiré son plus beau poème. Ou bien elle
dérange, elle gâche le rendez-vous, ou bien elle
arrange, elle prolonge la visite. On ne sort pas sous la pluie. Je suis
content. Une échéance est repoussée.
Je suis assis au milieu de vous deux sur le canapé. J'ai
chaud aux pieds. Avec votre permission, les chaussures s'en vont. Une
décontraction dans tout le corps. Un équilibre
est atteint. Mon sourire est là, figé, non pas
crispé. Parler ou rester sans rien dire m'est
égal. J'ai un sommeil en mémoire que le bruit sur
le toit me ramène. Je me laisse aller. Celui qui dort est un
autre moi. Celui d'il y a vingt ans dans une petite maison de province.
Je le regarde faire en pensant que je ne pourrai plus jamais
être lui. Mais dormir avec toi sous la pluie vaut son pesant
d'or. Tu me l'as déjà dit, tu en as
rêvé. Mais à quand le parachutage des
rêves ? Mon esprit est juste ce soir, il n'y a pas
suffisamment de place pour le rêve. Je me confine dans la
réalité : l'eau qui tombe. Vos parfums
à vous deux qui s'affrontent. Et moi qui, malgré
moi, suis retourné à la pizzeria. Oui, j'en ai
mangé des pizzas, à New York. Ma vieille haine de
la pâte au fromage est liée au pays. C'est elle
qui m'a permis de comprendre le ton austère de Patricia. Les
tranches que j'avalais sur la cinquième avenue
n'étaient chargées d'aucune distinction. Ici, ces
petits plats ronds indexent la richesse. J'étais parmi les
gens riches. C'est récent dans le pays, la pizza. J'en ai
entendu parler pour la première fois à une sortie
de classe : une élève racontait que ces
gens-là étaient riches, qu'ils s'achetaient tous
les jours de la pizza. Et sa camarade de lui demander : c'est
quoi la pizza ? — Tu ne sais même pas ce
qu'est une pizza ? Tu viens de loin dans la forêt.
— Je t'en prie, ne raconte pas tout ça aux autres,
ils vont se moquer de toi.
☐ pp. 153-154
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Lettres
à Martine », New York :
Rivarticollection, 2001
- « La
Suzannade », New York : Rivarticollection,
2002
- « Mourir
sucé », in Hommage aux lettres d'Haïti,
dossier préparé par
Jean-Euphèle Milcé, La Nouvelle Revue
Française, n° 576, janvier 2006
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mise-à-jour : 1er
avril 2006 |
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