Le
paradis autour de Paul Gauguin / Viviane Fayaud ;
préface
de Robert Aldrich. - Paris : CNRS Editions, 2011. -
278 p.-[32] p. de pl. : ill. ;
23 cm. -
(Réseau Asie).
ISBN
978-2-271-07093-7
|
En
1891, quand il débarque à Papeete, Gauguin n'est
pas le
premier artiste occidental à
tourner ses regards vers le Pacifique insulaire pour y puiser la
matière d'une œuvre. Faut-il voir dans ceux qui
sont
passés avant lui de simples prédécesseurs
ou de véritables précurseurs ?
Et peut-on parler d'un « orientalisme
océanien
français dont Paul Gauguin serait le
célébrissime
mais non l'unique parangon ? » (Prologue, p. 17).
Pour répondre, Viviane Fayaud base son approche sur l'examen
et l'analyse de la production artistique de quatre prédécesseurs
de Paul Gauguin :
- Jules-Louis Lejeune qui touche
Tahiti et Bora Bora en 1823 à bord de La Coquille,
- Max Radiguet qui atteint les
Marquises et Tahiti en 1842 à bord de La Dame Blanche,
- Charles Giraud qui
séjourne à Tahiti de 1843 à 1847,
- et Pierre Loti à bord
de La Flore
pour des escales à Tahiti, Moorea, aux Marquises et
à l'île de Pâques en 1872.
Ce choix, très
limité et disparate, peut surprendre, autant que l'absence
de regards autres que français 1.
L'auteur précise avoir privilégié le
XIXe
siècle, moins documenté que le XVIIIe,
avoir pour la même raison délaissé les
navigations de Baudin 2
et Dumont
d'Urville, et s'être détournée de
l'iconographie
missionnaire « soumise à des contraintes
(…)
d'ordre doctrinal et hiérarchique »
(p. 23).
Cette démarche sélective (quatre
témoins - un espace
géographique limité à la
présence
française en Polynésie orientale
- cinquante ans au
cœur du XIXe
siècle) devrait permettre à l'auteur de rendre
compte « des
permanences de la vision française de ces îles
(…)
et d'en traquer les mutations » (p. 23).
Au-delà
d'un apport incontestable à la connaissance du travail
réalisé en Polynésie
française par chacun
des quatre artistes retenus, l'étude de Viviane Fayaud
soutient
l'intérêt en questionnant les principes
mêmes qui
semblent fonder sa démarche. Ainsi le mythe de Tahiti, qui
revient fréquemment dans l'argumentation, supporte-t-il un
large
éventail d'acceptions — c'est
tantôt la nostalgie d'un Âge d'Or
immémorial, d'un Eden
biblique, d'une Arcadie
virgilienne ou d'une Cythère
revue par François Boucher,
tantôt l'héritage des aspirations
utopiques revivifié par
l'esprit des Lumières. Difficile, face
à cette profusion, de soutenir l'hypothèse d'une
vision
commune et constante dans le temps d'autant que, comme le souligne
Robert Aldrich, si les œuvres
présentées contribuent à crédibiliser ce
prétendu mythe,
elles « jouent également un
rôle dans sa démythification » (Préface, p. 14).
Selon Viviane Fayaud, ces différentes visées se
fondent
dans un même consentement — conscient et
assumé
chez les uns, passif chez les autres — au projet
colonial
français. Ainsi, les œuvres de Lejeune, de
Radiguet, de
Giraud et de Loti s'inscriraient dans une stricte
continuité,
sous
l'angle de leur apport à la connaissance historique, comme
de
l'évolution des pratiques artistiques :
« en
cherchant la Polynésie dans cette collection iconographique,
on
trouve d'abord la France » (p. 212). Et,
plutôt
que d'éclairer le contraste entre des regards si distincts,
l'auteur suggère l'hypothèse d'un orientalisme océanien
— « concept
pertinent » pour Robert Aldrich (Préface,
p. 13), mais qui aurait mérité
d'être un tant soit peu explicité.
Les
dernières pages de l'épilogue peuvent se lire
comme une
charge virulente contre Paul Gauguin et son œuvre artistique
autant que littéraire : « Il est
paradoxal que
celui qui se soit le moins inquiété de traduire
la
vérité du mode de vie et du paysage insulaire de
Tahiti
et des Marquises, soit celui qui soit
révéré comme
le peintre de la Polynésie. Il se proclame le
peintre
sauveur d'une civilisation qui n'a existé que dans son
imaginaire, imaginaire tracé par ses
prédécesseurs, qui s'avèrent
également ses
précurseurs, et parmi lesquels prennent place Jules-Louis
Lejeune, Max Radiguet, Charles Giraud ou Pierre
Loti »
(p. 223). Affirmation véhémente qui
faute
d'être rigoureusement étayée
n'éclaire ni l'histoire du regard occidental sur
l'Océanie, ni
l'écart entre la peinture de Charles Giraud par exemple et
la plus sommaire des esquisses de Paul Gauguin.
→ Complément
d'information : note
de lecture par Gilles Bounoure, Journal de la
Société des océanistes, 134 | 2012 [en ligne] 1. | Ce que ne laisse pas deviner l'illustration
retenue pour la couverture : Vue de la baie d'Oaitepeha,
Tahiti, par William Hodges, peintre anglais ayant
participé à la seconde expédition du
capitaine Cook (1772-1775). | 2. | Le Voyage
aux Terres Australes
(1800-1804) sous le commandement de Nicolas Baudin s'est
déroulé pour l'essentiel dans l'océan
Indien, avec
de brèves incursions au long des côtes orientales
de
l'Australie et de la Tasmanie. |
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SOMMAIRE |
Avertissement au lecteur
Préface
de Robert Aldrich
Ch. 1,
Au
cœur des expéditions : le mythe et l'art
Ch. 2, L'artiste
d'expédition dans la première moitié
du XIXe siècle
- Un
jeune premier à Tahiti au temps de la Restauration
- Max
Radiguet, commémoration militaire et ethnographie sous
Louis-Philippe
- L'invention
de la Polynésie avant le Protectorat
Ch. 3, L'artiste
voyageur et le voyageur artiste
- Charles
Giraud au service d'ambitions politiques sous Louis-Philippe
- Pierre
Loti ou l'ambition à l'agonie sous la IIIe
République
- Brosser
le paradis
Ch. 4, Tahitiennes en
majesté : quand l'histoire rattrape le mythe
- Le
mythe à l'aune de l'expression plastique
- Tahitiennes
du mythe à l'histoire
- Pomare
IV, « Victoria des Mers du Sud »
Epilogue, Prédécesseurs
ou précurseurs ?
Index
Liste des dessins
Bibliographie
Table des illustrations
Chronologie succinte 1768-1903 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- R.P. Patrick O'Reilly, « Peintres de Tahiti », Paris : Nouvelles éditions latines (Sté des océanistes, Dossier, 23), 1978
- Michèle
Battesti (éd.), « Images des mers du Sud »,
Paris : Éd. du May, 1993
- [collectif],
« Supplément
au Mariage de Loti »,
Bulletin de la Sté des Études
Océaniennes (Papeete), avril-septembre 2000
- Max Radiguet,
« Les
derniers sauvages : aux îles Marquises, 1842-1859 »,
Paris : Phébus, 2001
- Alain Morgat
(éd.), « Le tour du monde de La Coquille,
1822-1825 », Paris : Service
historique de la défense, Éd. du Gerfaut, 2005
- Pierre Loti,
« L'île
de Pâques : Journal d'un aspirant de La Flore,
précédé du Journal intime (3-8 janvier
1872) », St Cyr-sur-Loire :
Christian Pirot, 2006
|
- Jean-Marc
Regnault et Viviane Fayaud (dir.), « La
Nouvelle-Calédonie, vingt années de
concorde :
1988-2008 », Paris : Publications de la
Société française d'histoire
d'outre-mer, 2009
- Jean-Yves
Faberon, Viviane Fayaud et Jean-Marc Regnault (dir.),
« Destins des collectivités politiques
d'Océanie : peuples, populations, nations,
États,
territoires, pays, patries, communautés,
frontières », Aix-en-Provence :
Presses
universitaires d'Aix-Marseille, 2011
- Viviane
Fayaud et Jean-Marc Regnault (dir.), « Images et
pouvoirs
dans le Pacifique », Paris : Publications
de la
Société française d'histoire
d'outre-mer, 2011
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mise-à-jour : 2 août 2021 |
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