Le grand marin / Catherine Poulain. - Paris : L'Olivier, 2016. - 372 p. ; 21 cm. ISBN 978-2-8236-0863-2
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| Peut-être
va-t-on toujours aller ainsi, jusqu'à la fin de tous les temps,
sur l'océan roussi et vers le ciel ouvert, une course folle et
magnifique dans le nulle part, dans le tout, …
p. 70 |
Kodiak,
la plus grande île d'Alaska, est une importante base de
pêche ouvrant sur un domaine d'une grande richesse
— dont la conquête se paie au prix d'un travail
harassant et risqué. Entre Arctique et Pacifique morues,
flétans et crabes géants s'offrent à profusion
à qui accepte des conditions de vie et de travail qui
défient l'imagination.
De cet enfer, Catherine Poulain
parle d'expérience. Dans un premier temps, elle décrit
sans concession l'exigeant métier et les dangers auxquels il
expose : la mer violente et imprévisible, le froid,
l'humidité, les interminables journées de travail,
l'obsession du rendement, la manipulation risquée des engins de
pêche …
Le retour à terre, après
le long effort coupé de sommeils toujours trop brefs, ne marque
pas le terme de ces tourments ; après la tournée des
bars, il arrive trop souvent au marin de vaciller en tentant de
regagner son bord. Catherine Poulain dresse des portraits attachants
d'êtres venus aux confins du monde où certains
s'échouent, où d'autres poursuivent une errance sans
véritable espoir, où d'autres affrontent leurs raisons de
vivre, leurs peurs.
La romance qui s'ébauche entre l'héroïne et le grand marin est intense, et fatalement privée d'avenir.
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EXTRAIT |
Les épaules de Joey s'affaissent. Le regard noir et triste semble scruter le mien : — Mais qu'est-ce que tu veux toi pour finir ? (…) —
D'abord je veux pêcher. Je veux m'épuiser encore et
encore, que rien ne m'arrête plus, comme … comme une
corde tendue, oui, et qui n'a pas le droit de se détendre,
tendue au risque de se rompre (…) — La
pêche … Vous êtes tous les mêmes, vous
qui arrivez ici comme des illuminés. Moi c'est mon pays, j'ai
rien vu d'autre, pas voyagé plus loin que Fairbanks. Je cherche
pas l'impossible. Je veux juste vivre et élever mes gosses.
C'est chez moi cette île ! Remarque moi je suis rien qu'un
con, un sale négro d'Indien … — Non Joey, j'aime pas quend tu dis ça. (…) — Alors t'as laissé ton pays pour venir pêcher l'aventure … — Je suis partie c'est tout. — Pfff !
Vous êtes des milliers comme ça, qui arrivez depuis plus
d'un siècle. Les premiers étaient des féroces.
Vous c'est pas pareil. Vous êtes venus chercher quelque chose qui
est impossible à trouver. Une sécurité ?
Enfin non même pas puisque c'est la mort que vous avez l'air de
chercher, ou en tout cas vouloir rencontrer. Vous
cherchez … une certitude peut-être …
quelque chose qui serait assez fort pour combattre vos peurs, vos
douleurs, votre passé — qui sauverait tout, vous en
premier. Il boit au goulot de sa bouteille longuement, paupières mi-closes, la repose sur le comptoir, rouvre les yeux : — Vous
êtes comme tous ces soldats qui partent affronter le combat,
comme si votre vie ne vous suffisait plus … s'il fallait
trouver une raison de mourir. Ou comme s'il vous fallait expier quelque
chose.
☐ pp. 304-305 |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « Le grand marin », Paris : Points, 2017
| Explorateur, pionnier de l'ethnologie et de la linguistique, Alphonse Pinart
(1852-1911) a recueilli de précieuses informations sur les
habitants et la culture de Kodiak lors d'un voyage en Alaska
(1871-1872) ; il a également constitué une
collection unique de masques en provenance de l'île qui sont
aujourd'hui conservés au Château-musée de Boulogne-sur-Mer. ➝ Emmanuel Désveaux (dir.), « Kodiak, Alaska : les masques
de la collection Alphonse Pinart », Paris : A. Biro,
Musée du quai Branly, 2002 |
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mise-à-jour : 9 avril 2017 |
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