EXTRAIT |
Les voltigeurs arrivent sur le
plateau lorsqu'un des chevaux pousse un hennissement ; les
animaux possèdent-ils un sens de ce qui peut briser l'harmonie
du monde, que nous aurions perdu ? Où peut-être,
tout simplement, le cheval qui hennit est un étalon excité
par l'odeur de la jument qui galope en tête du troupeau,
là-bas sur les crêtes, sa crinière blonde
dans le vent.
C'est ce hennissement, comme
le cri d'une liberté perdue, qui réveille Apollonie.
Elle ouvre les yeux et se tourne vers Jean-Baptiste, se penche
vers ses lèvres et respire son souffle tiède. Elle
regarde ses cils bruns et soyeux et un sourire d'amour glisse
sur son visage. Elle se dégage très lentement des
bras qui un instant la retiennent, passe sa chemise, son jupon,
et se lève, sa chevelure rousse sur les reins. C'est au
moment où elle ouvre la porte que son cœur se serre.
Le silence, uniquement peuplé du clair chantonnement de
la source, s'abat sur elle. Elle sort et noue sa chevelure dans
un foulard noir. Les voltigeurs restés sur leurs montures
forment un demi-cercle à une vingtaine de mètres
et pas un mot ne franchit leurs lèvres lorsqu'ils voient
la jeune silhouette d'Apollonie, les bras nus levés, la
tête inclinée vers l'avant, qui se découpe
dans l'encadrement de la porte.
Un des voltigeurs se souvient
d'un tableau de Vermeer qu'il aime particulièrement, un
autre tombe immédiatement fou amoureux et passera sa vie
dans les bras de femmes rousses sans retrouver ce mélange
de pureté, d'innocence et de sensualité qui caractérise
l'apparition d'Apollonie, un troisième enfin voit ses
doutes confirmés et décide de quitter sur le champ
le corps des voltigeurs. Il éperonne son cheval, claque
la langue, et c'est à ce moment qu'Apollonie, relevant
la tête, les découvre.
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