Visages noyés /
Janet Frame ; trad. de l'anglais (Nouvelle-Zélande)
par Solange Lecomte. - Paris : Payot et Rivages, 2004. -
308 p. ; 17 cm. - (Rivages poche,
Bibliothèque étrangère, 462).
ISBN 2-7436-1239-8
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NOTE
DE L'ÉDITEUR : Visages
noyés est un roman aussi vaste, profond et
inattendu que la folie elle-même. Janet Frame y
décrit ce qu'elle a connu : l'enfermement dans les
hôpitaux psychiatriques, la peur des “ gens normaux ” à
l'égard des “ fous ”,
et les chemins qu'emprunte la frayeur pour punir ceux qui se rebellent.
Damnés de la terre et du monde, les fous au visage ici
caressé n'ont pour se défendre de la cruelle
réalité du monde qu'une seule
possibilité : créer leur propre univers.
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EXTRAIT |
Le train sortit lentement de la gare de
Cliffhaven. Il accéléra en passant devant les
remblais où croissaient follement pois de senteur sauvages
et ajoncs. Il longea les petits jardins où, sur les cordes
à linge, la lessive étendue empestait l'eau
savonneuse, où — dans les poulaillers —
des poules grasses d'une blancheur de neige picoraient et grattaient le
sol pierreux, le derrière en l'air. Je renonçai
bientôt à distinguer les tours de
l'hôpital qui disparaissaient entre les collines. Je pris
l'attitude indolente du voyageur qui hume la fumée du train
et je regardai rêveusement les formes bizarres des arbres
morts, les moutons qui paissaient avec acharnement et les vaches qui
battaient l'air de leur queue et se rassemblaient
déjà pour la traite. Cliffhaven disparut de mon
esprit aussi facilement que le soleil descend dans le ciel et glisse
entre la ligne d'horizon et le bas des nuages.
Tout à coup, le train
s'arrêta en pleine brousse, parmi les eucalyptus et l'herbe,
puis on l'aiguilla sur une voie de garage pour laisser passer l'express
qui faisait route vers le sud. Il resta si longtemps en attente qu'il
avait l'air d'être abandonné. On avait
l'impression qu'il allait devenir la proie de la rouille, des mauvaises
herbes et du silence, ces dangers qui menacent hommes et machines,
qu'ils soient en marche ou à l'arrêt. Cela me
rappela une dernière fois Cliffhaven et ceux qui y vivaient.
Etait-il nécessaire de les mettre sur une voie de garage
pour permettre au reste de l'humanité de circuler
librement ? Et où allaient-ils donc, tous les
autres ?
Mais le train s'ébranla, je m'endormis
et j'oubliai mes préoccupations. Cliffhaven était
loin, très loin. Et je ne serais plus jamais malade,
n'était-il pas vrai ?
☐ pp. 73-74
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Faces
in the water », Christchurch : Pegasus
press, 1961.
- « Visages
noyés », Paris : Seuil,
1964 ; Joëlle Losfeld, 1996
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- « Parmi
les buissons de Matagouri », Paris : Hommes
et groupes, 1986
- « La
chambre close », Aix-en-Provence :
Alinéa, 1986 ; sous le titre
« Les hiboux pleurent vraiment »,
Paris : Joëlle Losfeld, 1994 ; Payot et
Rivages (Bibliothèque étrangère, 375),
2002
- « Un
ange à ma table (vol. I) Ma terre, mon
île », Paris : Joëlle
Losfeld, 1992 ; Joëlle Losfeld (Arcanes), 2000, 2014
- « Un ange à ma table
(vol. II) Un été à Willowglen »,
Paris : Joëlle Losfeld, 1995, 2011
- « Un
ange à ma table (vol. III) Le messager »,
Paris : Joëlle Losfeld, 1996, 2011
- « Poussière
et lumière du jour », Paris :
Joëlle Losfeld, 1995
- « Le jardin aveugle »,
Paris : Joëlle Losfeld, 1998 ;
Paris : Payot et Rivages (Bibliothèque
étrangère, 461), 2004
- « La
fille-bison », Paris : Joëlle
Losfeld, 2002
- « Le lagon et autres nouvelles », Paris : des Femmes - Antoinette Fouque, 2006
- « Vers
l'autre été »,
Paris : Joëlle Losfeld, 2011
- « Bonhomme de neige bonhomme de neige », Paris : des Femmes - Antoinette Fouque, 2020
- « Les Carpates », Noville-sur-Mehaigne (Belgique) : Esperluète, 2021
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mise-à-jour
: 29 janvier 2021 |
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