Un
monstre est là, derrière la porte /
Gaëlle
Bélem. - Paris : Gallimard, 2020. -
209 p. :
21 cm. - (Continents noirs).
ISBN 978-2-07-285590-0
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Avec humour, vivacité, et avec un apparent détachement,
Gaëlle Bélem raconte l'enfance et l'adolescence
d'une
petite réunionnaise née par malchance chez les
Dessaintes, tout sauf une famille aimante ; les parents de
l'infortunée petite
teigne “ étaient
animés d'une seule et abjecte conviction : que la
meilleure
façon d'élever des enfants était de
leur clouer le
bec en les terrorisant ! Ils n'expliquaient donc pas, ils
épouvantaient ”.
Derrière la porte du
domicile familial, rue Descartes dans un quartier populeux de
Saint-Benoît, ce n'est pas un monstre, mais des hordes de
démons, trolls et gnomes qui attendent d'être
convoqués pour terroriser l'enfant et lui rappeler ses
devoirs
et obligations.
Cette fable est l'occasion, pour Gaëlle
Bélem, de dénoncer avec force le statut social
toujours
réservé aux cafres
— descendants des esclaves africains
qui ont fait la fortune des grandes
familles
de l'île. Au terme du récit s'impose un rude
constat : “ l'île
entière semble
congestionnée, comme engluée dans une histoire
qui la
dépasse, un passé, une malédiction qui
l'ankylosent aujourd'hui encore ”.
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Née
à 18 h 27, un jour de l'été 1984,
Gaëlle
Bélem vit à onze heures d'avion de Paris, dans
une
île que les cartographes oublient trop souvent d'indiquer sur
les
planisphères : La Réunion. Un monstre est là,
derrière la porte est son premier roman.
Gaëlle Bélem est également professeure
et assesseure du tribunal judiciaire.
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EXTRAIT |
Il
y a toujours eu entre la tête des Dessaintes et le ciel un
dôme de verre qui entretenait l'illusion que les
étoiles
étaient bel et bien à portée d'effort.
Qu'il
suffisait de le vouloir vraiment et de s'en donner les moyens en
travaillant tous les jours. Qu'il suffisait d'être
honnêtes, justes et bons. Avec le temps qui passe, je crois
que
tout cela n'est qu'une vulgaire escroquerie, un mensonge entendu pour
préserver la paix des nantis, éviter les tueries
de
masses, faire en sorte que l'espoir demeure. Quoi de plus dangereux
qu'un homme sans espoir et revenu de tout ? Dix ans de lutte
pour
nous autres cafres, dix ans d'effort buté, c'est
certainement
dix ans de paix ailleurs. Dix ans où l'on est bien trop
occupé à se décrotter pour penser
révolution. Les premiers Dessaintes ont bien
tenté de
s'en sortit. Les derniers aussi. Maladroitement peut-être, en
vain sûrement. Ils n'ont pas réussi parce que ceux
qui ont
placé là ce dôme de verre
— appelons-le
malédiction, malchance, poisse, mensonge
universel —
étaient les seuls à pouvoir le
démolir. Alors, ils
ont forgé leurs propres lois, érigé
leurs petites
frontières, travesti tous leurs mensonges en
stupéfiantes
vérités. Et finalement, ils ont
accepté leur
logique de traviole, pour avancer un peu. Essayer quand même.
En
réalité ils ne sont pas méchants, ces
Dessaintes.
Juste des sans espoir dont l'acharnement infécond, la
ribambelle
de fautes, l'échec à
répétition a fini par
avoir quelque chose de fantastique. Ils se sont accrochés
plus
que quiconque. La branche de l'optimisme, ils l'ont tenue ferme. Pour
rien. Effort sans triomphe, peine sans gloire. Poussière
d'écume ballottée par
l'océan-tonnerre. Alors ils
ont lâché prise, perdu pied et ils sont
tombés
très bas. Plus bas. Toujours plus bas. Trois
siècle
d'effort, ce fut trop. Ils n'erraient plus qu'aux confins des bonnes
mœurs. “ N'avoir rien accompli et mourir
en
surmené ”, c'était donc
écrit.
☐ pp. 174-175 |
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→ Gaëlle
Bélem, “ Un livre est bien plus qu’une
juxtaposition
de feuilles griffonnées ” interview recueillie par
Dan
Burcea, 29 mars 2020 [en
ligne] → Corinne
Renou-Nativel, “ Gaëlle Bélem, une
île au bord du monde ”, La Croix, 15 avril
2020 [en
ligne]
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Un
monstre est là, derrière la porte », Paris : Gallimard (Folio, 7031), 2022
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mise-à-jour : 7 mai
2022 |
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