Journal d'Aran et d'autres
lieux : feuilles de route / Nicolas Bouvier. -
Paris : Payot, 1990. - 171 p. ;
21 cm. - (Voyageurs Payot).
ISBN 2-228-88183-X
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NOTE
DE L'ÉDITEUR : Que diable
fait-il en hiver dans ces îles d'Aran, côte Ouest
de l'Irlande, battues par les vents, sombres, presque
désertes. C'est Nicolas Bouvier : son œil
et son oreille accordés au génie du lieu, il
regarde, il écoute. Ses hôtes, bourlingueurs,
soutiers ou garçons de vestiaire dans les hôtels
tapageurs de New York où brillaient les truands et les
stars, accueillent le voyageur en seigneurs, comme on ne le fait
plus : sans arnaque ni mépris, n'attendant de lui
que des nouvelles, le présent le plus précieux
qu'on puisse faire aux isolés. Ces gens-là
descendent des moines planteurs de vignes et semeurs d'abbayes,
navigateurs en auges de pierre, bourrés de foi et de
santé, qui défrichèrent la
moitié de l'Europe.
Journal
d'Aran … mais les “ autres
lieux ” ? Une autre liasse de ces feuilles
de route pour une autre île, presqu'aux antipodes :
Chedju, cône volcanique surgi en pleine mer. Tout
près du Japon, pays du self-contrôle et des
polices sociales, qu'il quitte, Nicolas Bouvier reçoit comme
une claque la vitalité de Coréens
frénétiques, sensibles, extravertis, violents et
joviaux. Au sommet du volcan, le touche comme une grâce cette
évidence qui ne nous frappe plus, en Occident : la
vie est parfaite.
[…]
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EXTRAIT |
Empaqueté comme un esquimau, je suis
sorti pour voir de quoi ce rien était fait. La nuit montait
du sol comme une nappe d'encre, pas une lumière, le noir des
murs plus profond encore que le noir des prés. Un vent
à décorner les bœufs ; mes
poings gelaient au fond des poches. Alabar ne m'a pas suivi
longtemps : ce rien ne lui disait rien qui vaille. Il a fait
demi-tour et gratté à la porte qui s'est ouverte
aussitôt. Je cherchais l'ermitage de ce saint Enda dont les
disciples ont fondé Saint-Gall et appris aux rustres que
nous étions à se signer, dire les
grâces, chanter les neumes, enluminer les manuscrits de
majuscules ornées ruisselantes d'entrelacs, de griffons,
d'aubépines, de licornes. D'après ma carte, cette
tanière serait juste deux cents mètres
à l'Est sous la maison. Je ne l'ai évidemment pas
trouvée ce soir-là — de jour c'est une
taupinière basse, moussue, si rudimentaire qu'à
côté d'elle, les borries des bergers de Gordes
font penser au Palais du facteur Cheval. Mais j'ai vu — mes
yeux s'étaient fait à la nuit — une
forme pâle, rencognée dans l'angle
formé par deux murets. C'était un percheron blanc
si énorme et immobile que j'ai d'abord pensé
à une gigantesque effigie abandonnée
là par quelque Atlantide, ignorée des
archéologues, et que les vents d'hiver auraient
débarrassée de ses lichens et barnacles pour lui
donner ce poli et cette perfection d'opaline.
☐ pp. 31-32
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Journal
d'Aran et d'autres lieux » avec une postface de
Daniel Maggetti — Îles de
mémoire, Lausanne : Éd. 24
heures, 1990
- « Journal
d'Aran et d'autres lieux » in Œuvres
complètes, Paris : Gallimard (Quarto),
2004
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→
Lénia Marques, « “ La
mer pommelée
de moutons blancs ” : absence maritime dans
l’œuvre de Nicolas Bouvier », Carnets,
Première Série - 1 | 2009 [en ligne]
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mise-à-jour : 9
novembre 2018 |
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