Plus
haut que la mer / Francesca Melandri ; trad. de l'italien par
Danièle Valin. - Paris : Gallimard, 2015. -
201 p. ; 21 cm. ISBN 978-2-07-013945-3
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| … l'Île les saisit de plein fouet par son arôme. (…) Elle sentait le sel de mer, le figuier, l'hélichryse.
p. 17 |
La prison à régime spécial dont les quartiers sont dispersés dans l'Île
accueille les détenus que les autorités jugent trop
dangereux pour les prisons ordinaires du continent : terroristes,
membres d'organisations mafieuses, criminels violents,
pédophiles, violeurs … Or en abordant l'Île,
les nouveaux venus — détenus, gardiens ou
visiteurs — sont aussitôt frappés par les
parfums qui en émanent, parfums où se concentre toute la
beauté du lieu.
Paolo et Luisa, qui débarquent
pour rendre visite l'une à son mari et l'autre à son
fils, sont confrontés à cet insoutenable
paradoxe : tant de violence — celle des
détenus, celle de l'institution pénitentiaire et de ses
agents — confinée sur une terre dont la grâce
irradie avec cette entêtante simplicité. Dans leur
approche du bâtiment où sont reclus leurs proches, les
visiteurs croisent un âne albinos dont la présence
évoque l'île bien réelle (mais jamais
nommée) qui a inspiré le roman : Asinara, à
quelques encablures au nord de la Sardaigne (le centre
pénitentiaire aujourd'hui désaffecté a
laissé place à une réserve naturelle).
En application de la règle qui régit l'Île,
Paolo et Luisa devraient reprendre la mer à leur sortie du
parloir. Mais le mistral s'est levé et la traversée de
retour est annulée. Après une soirée et une nuit
sur l'Île, leur vie
pourrait reprendre son cours ; pourtant quand, de retour sur le
continent, Paolo et Luisa se séparent quelque chose a
changé — pour le meilleur. Comme a changé la
vie du gardien qui ne les a pas quitté d'une semelle tant qu'ils
étaient dans l'Île. Ce qui est advenu durant la nuit est plus haut que la mer.
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EXTRAIT |
La côte était déjà loin, l'Île
était une silhouette sur la ligne de l'horizon. Au milieu, il
n'y avait que l'eau et le ciel. C'est là que Luisa, dans ce
triomphe de l'essentiel, avait posé son regard. Elle y trouvait
une paix semblable à celle qui la gagnait après une dure
journée de labeur, la fatigue en moins.
Au bout d'un moment, c'est l'odorat et non la vue qui lui fit
remarquer la proximité de l'Île. Elle fut assaillie par un
air dense d'humeurs qui lui étaient inconnues, presque
épicées, qui n'avaient rien en commun avec le parfum des
bois et du foin au milieu desquels elle avait grandi. Elle se retourna
et vit l'Île, tout près.
Elle se dressait au-dessus de la mer dans une succession sinueuse
de petites baies. Certaines étaient des plages de sable
blanc ; là, le bleu intense de la mer devenait turquoise.
D'autres étaient parsemées de rochers rouges aux formes
bizarres et dont la masse immergée restait parfaitement visible
sous l'eau cristalline. Dans une crique abritée, un petit
môle s'avançait devant un groupe de maisons basses aux
teintes joyeuses : vert pâle, bleu ciel, rose. Au milieu
poussaient des agaves, des bougainvillées, des figuiers. Rien ne faisait penser à une prison.
À la différence de Luisa, c'était la
quatrième fois que Paolo venait sur l'Île et il
l'exécrait. Il détestait son odeur, les oursins noirs qui
mouchetaient les rochers à fleur d'eau, les couleurs pastel des
maisons. Était-il possible que les visiteurs d'une prison
spéciale soient accueillis par la beauté de la
nature ? Oui, c'était possible. Et ça,
c'était une duperie, une cruauté, une aberration.
☐ pp. 43-44 |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « Più alto del mare », Milano : Rizzoli, 2012
- « Plus haut que la mer », Paris : Gallimard (Folio, 6103), 2016
| → Michele Lauro : « Francesca Melandri, Più alto del mare : un uomo e una donna in pausa dal buio », Panorama. |
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mise-à-jour : 5 mai 2016 |
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