Bob Shacochis

Au bonheur des îles

Gallmeister

Paris, 2016

bibliothèque insulaire

 
bestiaire insulaire
parutions 2016
Au bonheur des îles / Bob Shacochis ; trad. de l'anglais (États-Unis) par Sylvère Monod et François Happe. - Paris : Gallmeister, 2016. - 312 p. ; 18 cm.
ISBN 978-2-35178-559-1
Huit des neuf nouvelles du recueil se déroulent dans les îles de la mer Caraïbe (La Barbade, Saint Vincent, Niévès, Providence, …) ou, plus souvent encore, d'île en île. Quand la scène est à Miami le monde insulaire est présent derrière l'horizon — objet de rêves pour les uns, cauchemar auquel d'autres tentent d'échapper comme ces quarante-six Haïtiens … entassés les uns sur les autres au fond d'une vedette de contrebande (Chaude journée sur la Gold Coast, p. 211).

Dans tous les cas, chacune des nouvelles souligne un contraste — d'une île à l'autre et, plus encore, entre les îles et le continent : le monde caribéen et les Etats-Unis Babylone. Contraste également entre pauvres et riches, entre noirs et blancs, entre femmes et hommes, entre pêcheurs et touristes. S'il arrive que ce contraste porte en germe violence et conflit, on en retient surtout l'attente et la tension qu'il installe : « Niévès me posait des questions, me navrait à cause de ces enfants — ces mendiants d'âge préscolaire aux grands yeux … » (Navigation à l'estime, p. 73). En d'autres circonstances, l'humour contribue à la résolution des écarts.

Le monde animal participe à cette mise à distance et aux ouvertures qu'elle ménage. Ici un singe, objet de la sordide convoitise d'un histrion 1 ; ailleurs un pélican, dont les souffrances sont abrégées par un îlien fruste et brutal — plus rapide et plus efficace que l'Américain apitoyé, délicat et maladroit qui d'abord avait tenté d'intervenir ; ailleurs encore, des tortues de mer qui commencent leur lente agonie au fond d'une barque, sous les yeux fascinés d'un pêcheur novice, conscient d'avoir brisé le cours d'une vie qu'il pressent harmonieuse.
       
1.“ Vous ne pouvez pas échanger une femme contre un singe ” tente-t-on de lui objecter (Lord Short Shoe veut le singe, p. 101).
EXTRAITS
Là-bas, au loin, au-delà du Gulf Stream, invisibles, se trouvaient les îles — il y en avait qui étaient aussi parfumées que la cardamome, certaines avaient des histoires cachées comme de la graisse sous une gaine, d'autres étaient aussi détestables qu'un mal de tête, certaines recelaient des trésors si abondants qu'ils n'avaient plus aucune valeur, d'autres n'étaient que de purs fantasmes et d'autres encore avaient le pouvoir de vous engloutir, comme la baleine d'Achab.

L'avantage du cœur, p. 140
Dans l'océan, il n'existait pas de mouvements plus gracieux, de ballets plus parfaits que ceux des tortues.

Le signe de Mundo, p. 297
Bowen fit le relevé des tortues rapportées ce jour-là par tous les bateaux, mesura la longueur et la largeur de leurs carapaces, compta leurs plaques dorsales, nota le sexe et l'espèce de chacune. […] La lumière des feux caressait mollement les carapaces et faisait tournoyer de petites gouttes d'or dans les yeux des tortues. Leurs nageoires se recourbaient d'avant en arrière sous les rangées de carapaces et les feuilles de palmier les attachaient solidement l'une à l'autre d'une étreinte glaciale, en une interminable prière.

[…]

Bowen ne savait pas pourquoi il avait envie de rester avec les tortues, mais il s'étendit parmi les débris de corail, trop las pour aider à préparer le souper. Il écouta les créatures de la mer aspirer de l'air, réciter la litanie haletante qui les retenait à la surface, auprès des hommes. Il les voyait rendues à la mer, mâle et femelle s'étreignant, tortue à écailles et tortue verte, les plaques de leur carapace s'épousant. Elles se rejoignaient dans cette étreinte, elles s'accouplaient, elles se laissaient porter dans les bas-fonds, elles se hissaient ensemble à la surface pour respirer, la femelle encerclée par les nageoires du mâle pendant un jour et une nuit, jusqu'au moment où le mythique pas de deux prenait fin, et où une forme nouvelle était conçue à partir de sangs différents. Alors elles se séparaient pour passer une année de solitude dans la mer. Les images s'arrêtèrent là, et Bowen se rendit compte qu'il s'endormait. Il ne voulait pas dormir là, sous l'auvent, avec les tortues, il se leva donc et retourna au camp, aux hommes, au plaisir de manger. La mer se retirait toujours plus loin du récif, faisant entendre la succion de la marée, l'air était attiré au travers des charpentes de corail puis exhalé, encore et toujours.


Le signe de Mundo, pp. 311-313
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Easy in the islands », New York : Crown, 1985
  • « Au bonheur des îles », trad. par Sylvère Monod, Paris : Gallimard (Du Monde entier), 2000 — cette première traduction française ne propose que cinq des neuf nouvelles de l'édition originale
  • « Sur les eaux du volcan » trad. par Sylvère Monod, Paris : Gallimard, 1996
  • « The immaculate invasion », New York : Viking, 1999 ; London : Bloomsbury, 1999
  • « La femme qui avait perdu son âme » trad. par François Happe, Paris : Gallmeister, 2016

mise-à-jour : 2 août 2017
Bob Shacochis : Au bonheur des îles
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