[anonyme]

Livre du chevalier Zifar, Livre du chevalier de Dieu, traduit du castillan (XIVe siècle) par Jean-Marie Barberá

Monsieur Toussaint Louverture

Toulouse, 2009
bibliothèque insulaire
   
utopies insulaires
Livre du chevalier Zifar, Livre du chevalier de Dieu / traduit du castillan (XIVe siècle) par Jean-Marie Barberà ; illustré par Zeina Abirached ; commenté par Juan Manuel Cacho Blecua ; édité par Dominique Bordes assisté de Caroline Rameau et Pierric Fraizy. - Toulouse : Monsieur Toussaint Louverture, 2009. - 572 p. : ill. ; 24 cm.
ISBN 978-2-9533664-1-9
On appelle Paradis terrestre (…) les Îles Fortunées, parce qu'on ne peut y accéder (…).

Prouesses et prospérités de l'infant Roboam, p. 409

Le Livre du chevalier Zifar a été écrit à Tolède, en castillan, dans les premières années du XIVe siècle. C'est l'un des premiers romans de chevalerie de la littérature hispanique. C'est également le fruit d'un harmonieux brassage d'influences, qui mêle l'héritage de l'antiquité gréco-romaine, la tradition chrétienne, la matière de Bretagne, les cultures orientales — arabe, perse, byzantine, juive. Deux manuscrits tardifs subsistent, l'un conservé à Madrid (Biblioteca nacional de España, ms. 11309, XIV s.), l'autre à Paris (Bibliothèque nationale de France, ms. Esp. 36, XV s.) ; la première édition imprimée date de 1512 (Séville : Jacobo Cromberger).

L'œuvre est découpée en trois grandes parties. La première relate l'errance du chevalier Zifar — le voyageur — et de sa famille, puis son accession au trône du royaume de Menton ; la seconde réunit les enseignements prodigués par le roi à ses fils Garfin et Roboam ; la troisième rapporte les aventures du cadet Roboam.

Au seuil de la troisième partie, alors que le fils aîné de Zifar se voit confier l'héritage paternel, Roboam part, comme avant lui son père, à la conquête du monde. Cette errance est marquée, à mi-parcours, par un bref séjour insulaire où sont clairement posées les limites de l'ambition humaine. Entraîné par une inéluctable péripétie, Roboam aborde aux Îles Dotées (Ínsulas Dotadas). Le caractère insulaire du lieu n'est pas autrement précisé ni développé, et le positionnement géographique succinct renvoie au monde de Ptolémée. L'auteur décrit avec profusion la perfection des Îles Dotées, évoquant avec insistance la proximité du Paradis terrestre. Là, Roboam fait l'amère expérience d'un monde idéal qui se refuse, exprimant par défaut l'empreinte d'un modèle que révéleront deux siècles plus tard Thomas More et les autres constructeurs d'utopies philosophiques et littéraires.

La traduction de Jean-Marie Barberá maintient un bel équilibre entre respect du style en usage au temps de l'auteur et attentes du lecteur contemporain ; fidèles à l'esprit des enluminures médiévales, les illustrations de Zeina Abirached accompagnent subtilement le texte ; quant à la postface de Juan Manuel Cacho Blueca, spécialiste de la littérature médiévale espagnole, elle éclaire savamment les contextes socio-historique et littéraire du Livre du chevalier Zifar, sa généalogie, sa construction et son influence.
EXTRAIT Pour en revenir à l'Impératrice, elle était toujours à genoux devant l'Empereur, et pleurant à chaudes larmes, elle lui dit : « Monsieur, de grâce, restez ; descendez de cheval et je vous recevrai dans mes bras, car le cheval n'y consentirait pas autrement ; il bout d'impatience pour partir. N'abandonnez pas ce que vous avez gagné pour ce que vous aurez à conquérir, ni ce qui est fait pour ce qui est à faire, ni la richesse pour la pauvreté. Je suis certaine que lorsque vous serez parti, vous brûlerez de retrouver ce que vous aviez, et vous ne pourrez le regagner. Maudit soit celui qui vous a trompé ainsi et vous a fait demander ce dont vous auriez pu vous dispenser. Il semble bien que c'était un ennemi et non un ami, si vous voulez bien le comprendre, car l'ennemi qui feint de vouloir notre bien et de nous aimer nous conduit à notre perte et nous fait tomber dans le déshonneur. Voilà pourquoi l'on dit : " Celui qui t'aime en t'abusant te déteste. " » Alors l'Empereur, dans son mouvement pour mettre pied à terre, frôla le flanc du cheval de l'éperon, et celui-ci s'élança comme le vent, si bien que l'Empereur ne put dire : « Avec votre permission, Madame. »

   C'est pour cela que l'on dit, à juste titre, qu'il était né un terrible jour celui qui eut si grand honneur et non moins grand pouvoir et ne sut pas les garder, car cet empire est parmi les plus luxuriants et les plus abondants du monde. On l'appelle les îles Dotées, et il jouxte d'un côté les îles de Chine, et de l'autre la mer de l'empire de Tigride, tandis que les deux autres cotés sont contre l'Orient. L'Impératrice, accompagnée de ses dames et de ses demoiselles, fut triste et inconsolable, et elle se livra au plus grand deuil du monde, en femme ayant perdu tout espoir de revoir un jour celui au pouvoir duquel elle désirait ardemment finir ses jours et qu'elle aimait sur toutes choses.

Prouesses et prospérités de l'infant Roboam, p. 442
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Coronica del muy esforçado y esclarescido cavallero Cifar (…) », Sevilla : Jacobo Cronberger, 1512
  • « Historia del cavallero Cifar » hrsg. von Heinrich Michelant, Stuttgart : A. Hiersemann (Bibliothek des litterarischen Vereins in Stuttgart, 112), 1872 ; Amsterdam : Rodopi, 1969
  • « El Libro del cavallero Zifar (El Libro del cavallero de Dios) » ed. by Charles Philip Wagner, Ann Arbor : University of Michigan, 1929 ; Millwood (N.Y.) : Kraus reprint, 1980
  • « El caballero Zifar » ed. de Martín de Riquer, Barcelona : Ariel (Selecciones bibliófilas), 1951
  • « Libros de caballerías españoles (El caballero Cifar, Amadis de Gaula, Tirante el Blanco) » ed. de Felicidad Buendía, Madrid : Aguilar, 1954, 1960
  • « Libro del caballero Zifar » ed. de Joaquín González Muela, Madrid : Castalia (Clásicos Castalia, 115), 1982, 1990
  • « Libro del caballero Zifar » ed. de Cristina González, Madrid : Cátedra (Letras hispánicas, 191), 1983, 1998
  • « Libro del cavallero Çifar » ed. by Marilyn A. Olsen, Madison : Hispanic seminary of medieval studies (Spanish series, 16), 1984
  • « Libro del caballero Zifar » (fac-simile du manuscrit de la BnF), Barcelona : M. Moleiro, 1996
→ Ignacio Vallejo Rico, « El caballero Zifar en la encrucijada del tiempo y del camino », Cahiers d'études hispaniques médiévales, 2007 | 30 | pp. 215-228 [en ligne]

mise-à-jour : 12 mars 2020

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