L'autre vie d'Orwell /
Jean-Pierre Martin. - Paris : Gallimard, 2013. -
149 p. ; 21 cm. - (L'Un et l'autre).
ISBN
978-2-07-013867-8
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À
Barnhill, l'être divisé d'Orwell a
trouvé son lieu d'élection :
Eric Blair mène une existence paysanne ; George
Orwell écrit 1984.
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p. 30 |
Dans
les dernières années de sa vie, George Orwell
(Eric
Blair, 1903-1950) a passé de longs mois à la
ferme de
Barnhill sur l'île de Jura dans les Hébrides
intérieures. Difficile d'imaginer un lieu plus
retiré en Grande-Bretagne ; aujourd'hui encore, il
ne faut
pas moins de deux jours pour s'y
rendre depuis Londres : passer par Glasgow, franchir deux bras
de mer
et, pour finir, traverser à pied la lande de l'île
sur une
dizaine de miles.
Les
« carnets » — diaries —
laissés par Orwell témoignent avec
précision des
conditions de vie à Barnhill. Il y est presque exclusivement
question de la nature, de ce qu'elle offre et du travail qu'elle
exige ; ces notes
à rebours de toute littérature, illustrent
une
façon poétique d'habiter le monde, et
en soulignent le prix : « prendre la pelle,
manier la
pioche, aiguiser la faux, creuser un fossé pour
préserver
le jardin de la présence des cerfs, sermonner le cochon
qui s'installe dans la cuisine comme chez lui »
(p. 48).
Quand
Jean-Pierre Martin se rend à Barnhill, en 2008, rien ne
semble
avoir changé depuis le dernier séjour d'Orwell.
Le voyage
est toujours aussi ardu, la nature aussi impassiblement
souveraine : « le ciel est une
récompense » (p. 57). En
éprouvant les
vertus et les contraintes de cet isolement radical,
Jean-Pierre
Martin s'interroge sur la motivation d'Orwell, sur les ressorts qui ont
tendu son désir d'ailleurs,
de retrait,
d'échappée,
son aspiration à se démarquer de sa
caste, à vivre à contretemps.
Pour
répondre, sans doute faut-il prendre la mesure de
l'œuvre
à laquelle Orwell a voué toute son
énergie durant
les derniers mois de cette existence en marge. C'est à
Barnhill
en effet qu'il a rédigé
« 1984 ».
Et si Barnhill peut faire figure d'utopie
(…) presque heureuse (p. 139),
c'est surtout en opposition avec la très sombre et
prophétique utopie développée dans
« 1984 ».
George
Orwell a quitté
définitivement l'île de Jura au début
du mois de
janvier 1949. Il est mort à Londres un an plus tard, vaincu
par
la tuberculose.
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EXTRAIT |
S'abandonner à l'expérience, c'est
prendre des
chemins de traverse. Plus que jamais, Orwell refuse d'être
sous
influence. Il lui faut un point antipodique, il lui faut ce lointain,
qui est aussi le présent d'une autre vie, pour
dévier de
l'orbite de l'orthodoxie ambiante, pour accéder à
une
vision que la participation au monde tel qu'il tourne ne permet pas.
L'obsession politique, il l'a faite sienne non de gaieté de
cœur, mais comme malgré lui ; parce que
l'époque le
voulait, parce qu'un Léviathan s'était
emparé de
nos existences comme de la littérature. Il ne peut quitter
cette
obsession, elle est encore au cœur du roman qu'il
achève,
mais il peut lui superposer le corps étranger d'une
existence
inatteignable.
Il
s'imagine là-bas, dans les Hébrides
intérieures,
dans cette beauté que Big Brother n'atteindra jamais, en
homme
de la lande et de la mer. Barnhill aura été son
ultime
tentative pour sortir de sa peau. C'est le nom d'un rêve de
survie, d'une existence qui se réorganise dans une
atmosphère de fin du monde. Cette explication avec
soi-même qu'est toute œuvre vitale sera
augmentée
par la présence d'une nature à la fois belle et
hostile,
par cette isolement dans un lieu où l'on n'est plus
seulement
hanté par l'avenir du monde des hommes, mais où
l'on doit
s'affronter à l'immensité de la mer et du ciel,
au
caprice du vent, à tout ce qui éloigne de
l'Histoire.
Façon
de déplacer l'angoisse, de lui trouver comme un substitut,
de
détourner son attention, de faire du dernier
séjour sur
la terre, de la dernière habitation, une question de vie ou
de
mort.
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pp. 72-13 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- George
Orwell, « Diaries » ed. by Peter Davidson,
London : Harvill Secker, 2009 ; London :
Penguin, 2010
- George
Orwell, « The collected essays, journalism and
letters of
George Orwell. Volume IV, In front of your nose :
1945-1950 » ed. by Sonia Orwell and Ian Angus,
London :
Secker & Warburg, 1968 ; London : Penguin,
1970 ;
Boston : D.R. Godine, 2000
- George
Orwell, « Essais, articles, lettres.
Volume IV,
1945-1950 » éd. établie par
Sonia Orwell et
Ian Angus, trad. de l'anglais par Anne Krief, Bernard Pecheur et Jaime
Semprun, Paris : Ivrea, Ed. de l'Encyclopédie des
nuisances, 2001
|
- George
Orwell, « Nineteen eighty-four », London :
Secker & Warburg, 1949
- George
Orwell, « 1984 » traduit de
l'anglais par Amélie Audiberti, Paris : Gallimard,
1950
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Orwell's life on
Jura |
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mise-à-jour : 15
mai 2013 |
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