MARC TRILLARD
: J'ai voyagé un peu, et de ce que j'ai pu voir hors les
frontières de mon pays, jamais je n'ai encore observé de
société moderne aussi contradictoire que celle de Cuba.
C'est le premier facteur qui a forgé mon envie d'écrire
ce livre. Le second se réfère à la forte et
soudaine inclination que je me suis découvert pour la
manière de vivre de son peuple, ses mœurs et sa culture,
comme si dans une autre vie j'étais né cubain.
L'île du caïman vert, comme disent joliment guides et
brochures, compose une terre où se mêlent le fracas de
l'Histoire en cours, une ardente volupté tropicale et une nation
d'hommes et de femmes saisie dans la plus intense condition humaine.
Ce qu'on nous montre habituellement de Cuba — beaux livres,
reportages télé ou circuits touristiques — n'a
qu'un lointain rapport avec la réalité cubaine, la faute
à une vision occidentale réductrice et grossière.
La réalité cubaine est autre, exaltante et
désespérante tout à la fois, profondément
émouvante en tout cas. Voici, avec la Chine, le Viet-Nâm
et la Corée du Nord, le dernier des systèmes socialistes
en vigueur sur la planète. Voici le dirigeant politique et
militaire affichant le plus long « mandat »
à la tête d'un pays. Voici la nation soumise au plus long
blocus économique de ce siècle. Et voici un peuple qui,
entre rires et grincements de dents, faim au ventre et appétit
de vivre, idolâtrie fidelista et rejet du système, danse
sur le fil du rasoir depuis déjà dix ans.
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