Kanaky,
sur les traces d'Alphonse Dianou / Joseph Andras. - Arles :
Actes
sud, 2018. - 295 p. : carte ; 22 cm.
ISBN 978-2-330-10931-8
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Au
printemps 1988, les indépendantistes kanak veulent profiter
des
élections présidentielles françaises 1
pour faire connaître et avancer leurs revendications. L'enjeu
est
de taille car, simultanément, doivent avoir lieu sur le
territoire des élections régionales dont le
principe, les
modalités et les conséquences
prévisibles sont
violemment contestées par le FLNKS, principal porte-parole
de la
mouvance indépendantiste. C'est dans ce contexte qu'une
action
de protestation ciblant la gendarmerie de l'île
d'Ouvéa
dégénère ; quatre gendarmes
perdent la
vie ; les assaillants en fuite prennent des otages pour
garantir
leur sécurité ; une vigoureuse riposte
militaire est
immédiatement organisée ;
après de longues
journées de traque de siège et de
négociations la
rébellion est écrasée dans le sang 2.
Joseph
Andras jette un nouveau regard sur l'enchaînement des
événements en accordant une attention
particulière
aux voix kanak (protagonistes, proches, témoins directs ou
indirects). Au fil de l'enquête il s'attache à la
personnalité d'Alphonse Dianou, le
“ meneur ” du groupe des
assaillants, souvent
présenté à l'opinion comme un
extrémiste
— un barbare.
Une
toute autre image se dégage des entretiens avec ceux qui ont
connu le jeune homme : celle d'un idéaliste,
formé
à la lecture des Evangiles et qui admirait Gandhi
plutôt
que Che Guevara. Toutefois, ces convictions s'étaient
raidies en
deux occasions ; trois ans plus tôt quand Eloi
Machoro avait
été abattu ; et, quelques mois avant les
événements
d'Ouvéa, pour avoir
été “ frappé,
conduit en prison et
condamné à quinze jours d'enfermement avec
sursis ” (p. 266) alors qu'il participait
à une manifestation
pacifique pour l'indépendance à Nouméa.
Deux
enquêtes se déploient donc en
parallèle. La
première vise à s'approcher des faits
— de la
trace qu'ils ont laissé, avec ses lacunes, ses distorsions,
ses
omissions — en joignant aux témoignages
déjà connus 3
ceux des interlocuteurs de l'auteur en Nouvelle-Calédonie.
La
seconde est plus attachante sinon plus essentielle : elle tend
à redresser en l'éclairant le portrait d'un jeune
Kanak
épris de la terre où il a vu le jour et
désireux
de contribuer à l'émancipation de son
peuple : la
figure fraternelle d'un homme de bonne volonté en
colère.
1. |
Elles opposent
François Mitterand président sortant à
Jacques
Chirace premier ministre de cohabitation : un affrontement
brutal
qui a exercé une influence décisive sur
les moyens
mis en œuvre pour résoudre la
crise … à
tout prix. |
2. |
Vingt-et-un morts, dont dix-neuf Kanak. |
3. |
Ceux des acteurs militaires ou politiques, des
journalistes de métropole, des historiens.
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NOTE
DE L'ÉDITEUR :
En avril-mai 1988, l'affaire de la prise d'otages de la grotte
d'Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie, menée
par un
groupe d'indépendantistes s'est soldée par une
intervention militaire et un bilan de vingt et un morts, dont dix-neuf
Kanak. Parmi les victimes, Alphonse Dianou, vingt-huit ans, musicien,
ancien séminariste se destinant à la
prêtrise,
admirateur de Gandhi et militant charismatique du FLNKS (Front de
libération nationale kanak et socialiste).
Terroriste ou
martyr ? Français ou
“ barbare ”
kanak ? Pacifiste ou assassin ? Chrétien
ou
communiste ? Le personnage — avec ses
légendes
contradictoires et paradoxales — a longtemps
intrigué
Joseph Andras, qui est parti en Kanaky sur les traces de cette figure
des luttes anticolonialistes du XXe
siècle.
Portrait
d'un homme complexe et passionnant, ce livre est également
journal de voyage dans un archipel méconnu et
délaissé, récit de rencontres et
d'échanges, reconstitution documentée d'un
épisode
sanglant de l'histoire récente, réflexion sur les
vestiges de l'empire français. Le tout dans un style
à la
fois tranchant et lyrique, avec un engagement ardent, une
curiosité patiente et attentive, qui sont la marque des
écrits de Joseph Andras.
❙ |
Né en 1984, Joseph Andras est l'auteur
d'un roman, De
nos frères blessés (2016),
et d'un texte poétique, S'il ne restait qu'un
chien (2017). |
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EXTRAIT |
Lefèvre
hurla après Dianou, lui ordonnant de se rendre :
l'indépendantiste réitéra son refus et
précisa : “ Vous allez mourir
loin de chez vous
et de vos familles ! C'est pas votre cause, rentrez chez
vous ! ” Un vieux Kanak lui dit
alors :
“ Mais si tout le monde meurt, qui restera sur cette
terre ? ” Le jeune homme de vingt huit ans
écouta son aîné
— “ Alphonse
a accepté et m'a dit de sortir en disant au GIGN qu'il
allait
libérer les otages ”. Dianou
ignorait
manifestement que ceux-ci étaient parvenus à
trouver une
cheminée dans la roche …
La
fumée enveloppait l'entrée de la grotte. Le
meneur
indépendantiste s'avança, suivi de ses
compagnons. Un
fusil à pompe claqua ; Alphonse Dianou ne se
relèvera plus.
Legorjus s'approcha.
Serra
la main de ses confrères retrouvés.
Lefèvre, qui
écrira deux décennies plus tard que
“ les
Canaques ne comprennent que la manière
forte ” songea
à cette mission
“ accomplie ”
partagé entre fierté et amertume : il
regarda les
prisonniers indépendantistes,
éreintés,
“ pantins
désarticulés ” fixant
“ le sol d'un air
désabusé ”. Le
général envoya un message à Paris
— “ Tous les otages sont
libérés
sains et saufs ” et aperçut le patron du
GIGN
penché sur Alphonse Dianou, étendu sur une
civière.
— Alphonse, pourquoi
tu n'as pas cédé ?
— Philippe,
pourquoi avez-vous fait ça ? Est-ce qu'on n'aurait
pas pu faire autrement ?
☐ pp. 271-272 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
Références
choisies parmi les nombreux ouvrages que cite l'auteur (la
bibliographie complète est en fin de volume, pp. 293-296). |
- Frédéric
Angleviel, « Un
drame de la colonisation : Ouvéa,
Nouvelle-Calédonie, mai 1988 », Paris :
Vendémiaire (Chroniques), 2015
- François
Burck, « Mon cheminement politique avec Eloi Machoro
(1972-1985) »,
Wé (Lifou) : Ed. de la
Province des îles Loyauté, 2012
- Patrick
Forestier, « Les mystères
d'Ouvéa », Paris : Filipacchi,
1988
- Michel
Lefèvre, « Ouvéa :
l'histoire vraie », Monaco : Ed. du Rocher (Service action),
2012
- Philippe
Legorjus, « La morale et
l'action » avec la coll.
de Jean-Michel Caradec'h, Paris : Fixot, 1990
- Philippe
Legorjus, « Ouvéa, la
République et la
morale » avec Jacques Follorou, Paris :
Plon, 2011
- Alain
Picard, « Ouvéa : quelle
vérité ? »,
Paris : Little big man,
2008
- Gilbert
Picard, « L'affaire
d'Ouvéa », Monaco : Ed. du
Rocher (Documents), 1988
- Edwy
Plenel et Alain Rollat, « Mourir à
Ouvéa : le tournant
calédonien »,
Paris : La Découverte, Le Monde, 1988
- Antoine
Sanguinetti (dir.), « Enquête sur
Ouvéa :
rapports et témoignages sur les
évènements
d'avril-mai 1988 », Paris : Ligue des
droits de
l'homme, Etudes et documentation internationales, 1989
- Jacques
Vidal, « Grotte d'Ouvéa, la
libération des otages »,
Quimper : Volum (Zone
interdite), 2010
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→ Interview de Joseph Andras recueillie
par Sophie Joubert, L'Humanité,
5 septembre 2018 [en
ligne]
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mise-à-jour : 20
septembre 2018 |
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