L'heure
bleue / Alexis Gloaguen ; ill. de Marc Bernol. -
Moëlan-sur-Mer : Blanc silex, 2004. - 93 p. : ill.,
cartes ; 24 cm. - (Itinéraires). ISBN 2-914875-12-6
|
| Il
y a un mystère sourd de l'ordinaire, une manière de
constater que notre langue est langue étrangère
dès qu'on relâche l'attention au sens des termes,
dès qu'on laisse venir une parole en négligence et par
des voies latérales. On renonce à comprendre et soudain
on trouve un accès.
Prologue, p. 12 |
NOTE DE L'ÉDITEUR : L'Heure bleue
s'inspire de ce bref moment du crépuscule où les couleurs
se fondent avant de verser dans la nuit. C'est aussi, par extension,
une rêverie sur l'art d'écrire en poésie, une
réflexion sur la lisière qui sépare la
réalité de son report dans les mots. C'est enfin un effet
de l'atmosphère subarctique entourant Saint-Pierre et Miquelon
et Terre-Neuve, ces îles situées dans l'Atlantique Nord et
qui sont, par excellence, des terres poétiques. Alexis Gloaguen
les a longuement parcourues, y écrivant ces pages en
extérieur en des endroits qu'il affectionne ; il
évoque ici la manière dont les lieux et les instants se
transforment en texte. L'Heure bleue se place dans le flou qui précède l'apparition mystérieuse de la parole poétique.
❙ | Alexis
Gloaguen est né en 1950 à Plovan (Finistère). Il a
vécu en Nouvelle-Calédonie, en Ecosse, aux quatre coins
de la Bretagne et à Saint-Pierre et Miquelon. |
|
EXTRAIT |
Trois jeunes goélands, autour de leur mère,
s'allongent sur l'eau en position de détresse, exagèrent
leur fragilité malgré leur corpulence, poussent des
pépiements qu'ils oublieront une fois l'adulte envolé.
J'en observe d'autres, poussins de quelques jours, mimant
l'immobilité des pierres dans un berceau d'herbe. Mon rêve
décolle avec leur ébullition de cris, tandis que
j'approche des « trois Cheminées » de
l'île aux Vainqueurs. Je m'étonne encore des tests
d'oursins et des carapaces de crabes trouvés en ces bas-fonds de
carex, en ces sentiers ouverts dans l'oseille et
l'épervière. Je m'enivre au sourcil jaune du bruant des
prés soutenant le gris du ciel. Je m'éveille à la
puanteur de la colonie d'oiseaux qui me rapporte à je ne sais
quel souvenir éternel.
Malgré
tout, je ne suis pas venu pour rendre compte, ni même pour
apprendre. Tous ces grappins qui m'ancrent à la
réalité ne m'aident qu'à glisser vers le
crépuscule des textes, vers leurs feux de fin du jour où
se révèle en silence leur véritable nature. La vue
doit mener à la vision, l'objet à un retournement de
l'œil, la lumière ne plus rien baigner et se muer en
aveuglement.
Puis
je trébuche en cette anse du sud-ouest sur les ossements d'un
cachalot échoué là il y a quinze ans :
omoplates et mandibules pavés d'alvéoles, ogives à
cloportes, émiettées par le temps jusqu'à la perte
de l'odeur : orientation ligneuse de cette vie qui fendit l'eau
noire.
Des
profondeurs où se tinrent tous ses combats, ce corps fut
remonté par la mort, dirigé vers le rivage où
aujourd'hui il exprime comme un destin le texte vers lequel il
était orienté. Or je cherchais ces vestiges, je savais
qu'ils existaient. Avec un peu de chance, réduisant le hasard,
j'espérais les intégrer dans l'indolence de mon
cheminement.
☐ pp. 31-32 |
|
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « Écrits de nature » tome 1, Paris : Maurice Nadeau, 2017
- « La chambre de veille », Paris : Maurice Nadeau, 2012, 2014
- « Les veuves de verre », Paris : Maurice Nadeau, 2010
- « Petit Nord [suivi de] Le troisième affût », Vannes : Citadel road, 2006
- « Le roc et la faille », Moëlan-sur-Mer : Blanc silex (Granit), 2001
- « Soleil
du nord & brouillard d'anse, deux peintres à
Saint-Pierre-et-Miquelon : Jean-Claude Roy et Jean-Claude Girardin
» avec Claude L'Espagnol, Paris : Somogy ;
Saint-Pierre-et-Miquelon : Carrefour culturel Saint-Pierrais, 1999
- « Le pays voilé », Quimper : Calligrammes, 1990
| → L’insularité créative d’Alexis Gloaguen, entretien recueilli par Christian Tortel [en ligne] |
|
|
mise-à-jour : 29 juin 2017 |
| |
|