Actes relatifs à la
mort de Raymond Roussel / Leonardo Sciascia ; traduit
de l'italien par Jean-Pierrre Pisetta. - Paris : Allia, 2022.
- 61 p. ; 19 cm.
ISBN 979-10-304-1485-1
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… ce soir-là, Roussel ne voulait pas mourir ; il voulait, pensons-nous, uniquement dormir.
☐ p. 32 |
“ Ce
matin vers dix heures environ, le bagagiste Antonio Kreuz de
l’Hôtel des Palmes s’est rendu dans la chambre
n° 224 occupée par le ressortissant français
Raymond Roussel, né à Paris le 20-1-1877, et a
constaté que ce dernier était étendu, sur le dos
et sans vie, sur un matelas posé par terre. Roussel, a-t-on
appris, avait le cerveau malade et prenait des médicaments pour
s’étourdir. Ont été trouvés sur la
petite table deux tubes de Sonneril, et dans les tiroirs de
l’armoire une grande quantité de drogues
médicinales de différents types. Il semble que
l’homme, ayant forcé la dose des substances, a
provoqué sa propre mort. ” — p. 7
Ce
constat de police transmis par télégramme à la
justice le 14 juillet 1933 est à la base de l'opinion, largement
répandue depuis, selon laquelle Raymond Roussel se serait
suicidé dans une chambre du Grand Hôtel et des Palmes (1) à Palerme.
Leonardo
Sciascia ne s'est pas laissé convaincre. Il relève par
exemple “ la rapidité impressionnante ”
qui a permis de clore l'affaire le jour même de la
découverte du corps : “ Tous les actes sont
datés du 14 [juillet], ce qui signifie que tout s’est
déroulé en un peu plus d’une
demi-journée ” et, ajoute-t-il, “ sans
autopsie ” (p. 42).
Dés lors Leonardo
Sciascia scrute et analyse les pièces du dossier
(témoignages, constatations de la police et de la justice,
rapport du médecin), confronte les uns aux autres ces divers
éléments et tente, quand il en est encore temps, de faire
confirmer et de recouper les témoignages. Cette enquête
parallèle ne peut qu'alimenter le doute en éclairant
“ détails curieux …
incohérences … contradictions ”
(p. 39).
Police et justice ne sont pas, ici, seuls
suspectés d'avoir pu infléchir la
réalité ; des témoins, par négligence
ou intérêt, ont également pu fausser le recueil
d'information. La conclusion de l'auteur reste prudente ; on peut
y deviner les interrogations d'un écrivain maîtrisant
l'art du récit et pleinement conscient des limites de cette
maîtrise :
“ Peut-être
ces points noirs que les documents, les souvenirs font apparaître
étaient-ils, dans l’immédiateté de la
situation, tout à fait probables et explicables. Les faits de la
vie deviennent toujours plus complexes et obscurs, plus ambigus et
équivoques, autrement dit tels qu’ils sont vraiment,
lorsqu’on les écrit — c’est-à-dire
lorsque, du statut d’actes relatifs, ils passent à celui d’actes absolus.
Comme disait ce policier de Graham Greene : " Nous pourrions
bien avoir pendu beaucoup plus de gens que ne l’ont
annoncé les journaux ". Nous aussi, après
tout. ” — p. 61
(1) | C'est
dans cet hôtel que Richard Wagner était descendu lors de
son séjour en Sicile (1881-1882). C'est là qu'il acheva Parsifal ; c'est également là qu'il rencontra Auguste Renoir pour qui il accepta de poser brièvement [informations complémentaires]. |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Atti relativi alla morte di Raymond Roussel », Palermo : Esse, 1971
- « Actes relatifs à la mort de
Raymond Roussel » traduit de l'italien par Giovanni Joppolo
et Gérard-Julien Salvy, Paris : L'Herne (Les Livres noirs),
1972
- « Actes relatifs à la mort de Raymond Roussel », in Œuvres
complètes (vol. 1)
1956-1971, Paris : Fayard, 2000
|
- François Caradec, « Raymond Roussel », Paris : Fayard, 1997
- Antonio Fiasconaro, « Morte d'autore a Palermo », Palermo : Nuova Ipsa (Mnemosine, 27), 2013
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- Leonardo
Sciascia, « Œuvres
complètes, (volume 1) 1956-1971 »,
Paris : Fayard, 1999
- Leonardo
Sciascia, « Œuvres
complétes, (volume 2) 1971-1983 »,
Paris : Fayard, 2000
- Leonardo
Sciascia, « Œuvres
complètes, (volume 3) 1984-1989 »,
Paris : Fayard, 2002
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- Leonardo
Sciascia, « La
Sicile comme métaphore : conversations avec
Marcelle Padovani », Paris : Stock, 1979
- Leonardo
Sciascia, « À chacun son dû », Paris :
Denoël, 2009
- Leonardo
Sciascia, « Les oncles de Sicile »,
Paris : Denoël, 2011
- Leonardo
Sciascia, « La disparition de Majorana », Paris : Allia, 2012
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mise-à-jour : 17
octobre 2022 |
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