La
Corse de Guy de Maupassant : nouvelles et récits /
présenté par Jean-Dominique Poli. -
Ajaccio :
Albiana, 2007. - 153 p. ; 21 cm.
ISBN
978-2-84698-200-9
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… j'errais
à travers cette île magnifique, avec la sensation
que j'étais au bout du monde.
☐ Le bonheur, p. 126 |
Maupassant a passé plusieurs semaines
en Corse,
entre la fin de l'été et le début de
l'automne
1880 ; il avait fait le voyage pour rejoindre sa
mère qui,
souffrant des nerfs, venait occasionnellement se soigner dans
l'île dont elle aimait les « paysages
absolument sauvages, d'une beauté
primitive » 1.
Entre accomplissement d'un devoir filial et virées au
bordel,
l'essentiel du séjour se passe à voir du pays,
d'Ajaccio
à
Calvi et Corbara, en passant par Bastelica, Evisa, Piana, le val du
Niolo. L'année suivante une excursion plus rapide le
mène
à Bonifacio et dans ses environs. En préalable
aux
observations et impressions recueillies sur place, le bagage de
départ est succint : la légende
napoléonienne, les souvenirs de Flaubert 2,
Mérimée (Colomba),
Daudet (L'agonie de la
Sémillante dans les Lettres de mon moulin)
et les clichés en vogue à Paris sur la
société et les mœurs insulaires.
De retour
sur le continent, Maupassant s'empresse de mettre en forme pour la
presse (Le Gaulois et
Gil Blas)
les matériaux réunis durant son
escapade ; et, sans
surprise, il court au devant de l'attente de son public. Dans son
introduction, Jean-Dominique Poli relève la profusion des
poncifs stigmatisant sans retenue une terre chaotique et une
société archaïque, sauvage, qui
évoquent
l'Afrique plus que l'Europe — établissant
un rapprochement rien
moins que flatteur à l'époque 3.
La lecture est édifiante : enfant d'une
« race
inculte », le Corse est
« violent, haineux,
sanguinaire avec insouciance » (Le bonheur,
p. 126) ; il s'exprime dans un « patois
graillonnant,
bouillie de français et d'italien » et
« toute élégance [lui] reste
étrangère » (Histoire corse,
p. 77) ; il peut « au premier
matin devenir bandit » (Bandits corses, p. 57)
et, d'un coup, exécuter « une
idée de sauvage vindicatif et
féroce » (Une vendetta, p. 104).
Il arrive pourtant que le journaliste oublie ses lecteurs et
leurs préjugés : une page,
une simple phrase, révèlent alors l'emprise d'un
monde
insulaire fortement contrasté, où du chaos
originel
peuvent à tout instant surgir équilibre,
beauté,
amour, promesse de bonheur : « quant aux
Corses, qui ne
sont pas riches, ils sont du moins les hommes les plus hospitaliers et
les plus généreux du monde » (Vérités
fantaisistes, p. 134) ;
les mœurs de l'île sont
préférables à
celles de Jersey « que gouverne la chaste et hypocrite
Angleterre » (ibid.) ;
« et s'il fallait
comparer le paysan
normand … rusé …
avare …
sournois et soupçonneux, au paysan corse qui ne fait rien du
matin au soir … qui vit de presque rien mais qui
ouvre sans
hésiter et sans compter sa porte aux passants inconnus,
partage
avec eux sa soupe, et leur donne même ce qu'il y a de mieux
chez
lui, je préférerais peut-être le Corse
au
Normand » (ibid.).
Mais des
deux
regards portés par Maupassant sur la Corse, c'est le plus
noir, le plus attendu, le plus conventionnel, qui est
passé
à la postérité
— sur les deux bords de
la Méditerranée —, contribuant
à
consolider un imaginaire factice où les bandits et la
vendetta
occupent contre toute vraisemblance le premier plan.
1. |
François Tassard, « Souvenirs de Guy de
Maupassant, par François,
son valet de chambre », Paris : Plon,
1909 ;
extrait cité par Jean-Dominique Poli, Introduction, p. 8 |
2. |
« Les mémoires d'un fou ; Novembre ;
Pyrénées-Corse ; Voyage en
Italie »
éd. par Claudine Gothot-Mersch, Paris : Gallimard
(Folio
classique, 3531), 2001 |
3. |
Quarante ans avant Maupassant, dans « Un hiver à Majorque »,
George Sand portait le même regard sur ses
hôtes :
« l'absence de vie intellectuelle (…)
donne au
Majorquin plus de ressemblance avec l'Africain qu'avec
l'Européen ». En 1888, Nietzsche
au contraire décentrera le regard en affirmant que
« la supériorié [du] petit
bout de côte
entre Alassio et Nice est son consentement à
l'africanisme » (lettre à Reinhart von
Seydlitz, 12
février 1888). |
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SOMMAIRE |
Introduction,
Jean-Dominique Poli
- La patrie
de Colomba (1880)
- Le
monastère de Corbara (1880)
- Bandits
corses (1880)
- Une page
d'histoire inédite (1880)
- Histoire
corse (1881)
- Phoques et
baleines (1882)
- Un bandit
corse (1882)
- Voyage de
noce (1882)
- Une
vendetta (1883)
- L'exil
(1883)
- La main
(1883)
- Le bonheur
(1884)
- Vérités
fantaisistes (1884)
- Un
échec (1885)
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Contes
du jour et de la
nuit », Paris : Gallimard (Folio, 1558),
1984 ;
Flammarion (GF, 292), 1997 ; Maxi-livres, 2005
- «
Chroniques insulaires », Bastia :
Marzocchi, 1987
- « Histoire
corse, Un bandit corse, Une vendetta »,
Marseille : Via
Valeriano ; Ajaccio : La Marge, 1993
- « Un
bandit corse et autres contes », Bastia :
Marzocchi, 1993
- « La
Corse » textes réunis et
présentés par
Cyrille Colonna d'Istria, Ajaccio : La Marge, 2003
- «
Une vendetta », in Le roman de la Corse, textes
réunis et présentés par Claude
Moliterni, Paris : Omnibus, 2004
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- «
Une vie », Paris :
Victor Havard, 1883 (très nombreuses
rééditions)
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- « Sicile »
texte choisi et présenté par Émilie
Cappella, Paris : Magellan (Heureux
qui comme …),
2004
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- «
Jacques
Bienvenu (dir.), « Maupassant et les pays du
soleil » actes de la rencontre internationale de
Marseille, 1er
et 2 juin 1997, Paris : Klincksieck (Actes et colloques, 59),
1999
- Arselène
Ben Farhat, « L'île corse, espace de la
rencontre du
poétique et du narratif chez Guy de Maupassant : Un bandit corse comme
exemple », in L'insularité,
études rassemblées par Mustapha Trabelsi,
Clermont-Ferrand : Presses universitaires Blaise Pascal (Cahiers de recherches du CRLMC), 2005
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mise-à-jour : 20
février 2020 |
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