Chypre :
le chagrin d'une île / Angélique Kourounis. -
Bruxelles : Nevicata, 2021. - 90 p. : carte ;
16 cm. - (L'Âme des peuples). ISBN 978-2-87523-177-2
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| L'île de Chypre est belle. Très belle.
☐ p. 10 | |
Chypre
est au carrefour de l'Afrique, de l'Europe et du Moyen-Orient ;
les convoitises sont nombreuses et incessantes : “ tous ceux qui veulent contrôler la Méditerranée orientale s'y installent ” (p. 12).
Cette
histoire tourmentée culmine en 1974 avec l'invasion d'une
moitié de l'île par l'armée turque suivie, en 1983,
de l'autoproclamation de la République turque de Chypre du Nord.
Chypre est, depuis, une île déchirée — en
attente de réconciliation.
Née à Kalymnos, Angélique
Kourounis a vécu au plus près les derniers soubresauts de
cette histoire. Son récit est clair et sans
préjugé. Les événements sont relatés
avec recul, mais l'engagement affectif n'est jamais
dissimulé ; or au fil de son enquête des deux
côtés de la ligne verte
qui sépare Chypriotes grecs et turcs, Angélique Kourounis
découvre que l'amour de l'île est également
partagé de part et d'autre, que le lien affectif est aussi fort
ici et là. En un mot les raisons qui rendent la
réconciliation délicate voire difficile à mettre
en œuvre sont également de celles qui incitent à
l'espoir.
Le récit est complété par trois
entretiens avec des personnalités étroitement
concernées : Sevgul Uludag — journaliste
chypriote de la communauté chypriote turque ; Nicos
Trimikliotis — avocat chypriote grec ; Andreas
Hatzikiriakos, Chypriote grec iconoclaste, historien spécialiste de l'histoire médiévale ottomane. ❙ | Journaliste franco-grecque, Angélique Kourounis est correspondante permanente à Athènes pour Radio France, la Radio Suisse Romande, Charlie Hebdo et La Libre Belgique. Chypre a toujours été pour elle une odyssée. Y revenir est un plaisir qu'elle partage formidablement. Par
ailleurs Angélique Kourounis enquête depuis une dizaine
d'années sur le parti néo-nazi Aube dorée auquel
elle a consacré plusieurs documentaires : “ Les
promessses de l'Aube dorée ” (2015),
“ Aube dorée, une affaire personnelle ”
(2016), “ Aube dorée, l'affaire de tous ”
(2021). — Un bel et courageux engagement qui mérite
d'être salué. |
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J'ai
mis longtemps avant de rencontrer des Chypriotes turcs. À chaque
fois que je voulais passer par le passage du Ledra Palace, le seul
ouvert jusqu'en 2003, on me refusait l'entrée malgré mon
passeport français […] “ Yunan ! ”
(Grecque !), me disaient les policiers en me rendant mes papiers.
[…] J'ai fini par modifier mon passeport […] je suis
devenue Angélique Courounis [et] cela a marché, je suis
passée. Je n'y croyais pas. En me dirigeant vers le centre de
Nicosie-Nord, j'avais l'impression de braver tous les interdits. Juste
après le petit pont en pierre, à droite du poste
frontière, se trouvait une jolie maison de pur style chypriote,
transformée en café traditionnel. Des petits vieux
jouaient au tavli, le
backgammon. Je m'y suis arrêtée, j'ai commandé un
café turc et j'ai attendu les premières questions. Une
fille seule dans un café attire toujours des questions. J'avais
bien pris soin […] d'apprendre un peu le turc, ussi je me suis
retrouvée très vite à jouer au tavli. J'allais de surprise en surprise, les Chypriotes grecs jouent comme moi au tavli
et je prends plaisir à rire avec eux ! J'évitais
cependant de dire que j'étais Grecque, d'une part parce qu'on ne
sait jamais, d'autre part parce que, comme tous les étrangers
dans le nord, j'étais surveillée. Évidemment, j'ai
perdu toutes les parties, mais j'ai tellement appris.
☐ Angélique Kourounis, Des deux côtés, des victimes, pp. 36-38 | Aucune
infrastructure ne soutient la formation d'un esprit chypriote qui
permette de vivre en tant que tel, sans être obligé de
prendre position par rapport à ses origines chypriotes grecques
ou turques. Ce choix est imposé des deux côtés
à cause du conflit et de la séparation de l'île.
Agir en tant que Chypriote est un choix politique et idéologique
de chaque instant. Ce n'est pas quelque chose que vous pouvez mettre de
côté et reprendre plus tard. C'est chaque jour, à
tout moment, qu'il faut faire ce choix.
☐ Sevgul Uludag, Entretien, p. 55 | À Chypre,
même si chacun des deux camps peut voir différemment la
question du pouvoir, du partage des richesses et des ressources, ils
ont une définition commune de l'espace, avec simplement un nom
grec, Kýpros, et un turc, Kıbrıs. Cette conscience de l'espace
commun est un élément d'identité. Même si
des deux côtés, certains veulent l'emmener vers la
partition, il y a suffisamment d'éléments solides,
malgré toutes ces années de séparation, qui nous
disent que nous pouvons et que nous allons vivre ensemble
pacifiquement. C'est un élément trés important qui
fait la synthèse des contradictions, mais aussi de
l'identité chypriote.
☐ Nicos Trimikliotis, Entretien, p. 69 | Q — Si
l'on regarde l'histoire récente du pays, qui a fait le plus de
mal à Chypre, les Anglais, les Turcs ou les Grecs ? R —
Nous dirons les Anglais pour la genèse du problème, la
façon dont ils ont géré la situation de 1945
à 1960 et pour la Constitution impossible à appliquer
dont ils ont doté le pays. La Grèce des colonels qui a
fait un coup d'état en 1974 et a donné ainsi un
prétexte à l'invasion du Nord de l'île par la
Turquie ; et enfin la Turquie qui, depuis, occupe
illégalement 36,2 % du pays.
☐ Andreas Hatzikiriakos, Entretien, p. 87 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Pierre Blanc, « La déchirure chypriote : géopolitique d'une île divisée », Paris : L'Harmattan, 2000
- Jean-François Drevet, « Chypre en Europe », Paris : L'Harmattan, 2000
- Lawrence Durrell, « Citrons acides », Paris : Librairie générale française (Le Livre de poche, Biblio, 3213), 1994
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mise-à-jour : 20 octobre 2022 |
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