L'été
grec : une Grèce quotidienne de 4000 ans [nouv.
éd.
revue, corrigée et augmentée d'une postface] /
Jacques
Lacarrière. - Paris : Presses pocket, 2006. -
448 p. : ill. ; 18 cm. - (Terre
humaine poche,
3018).
ISBN
2-266-11981-8
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Mon
premier voyage en Grèce eut lieu en 1947, le dernier
à
l'automne 1966. Ma dernière image : une
île de la
mer Egée, sans arbres, avec un unique village et un paysage
où misère et beauté s'allient comme
deux versants
d'une même colline.
☐ L'été
grec, incipit |
De son premier voyage en Grèce, Jacques
Lacarrière (1925-2005) retint que « la
Grèce existait toujours » — au-delà
des
« images trompeuses, conventionnelles, mais
incroyablement tenaces » portées
par les mythes, l'histoire, la littérature ou la
philosophie.
Dans « L'été
grec », au fil d'un
périple de vingt ans, il relate des rencontres où
s'approfondit le constat d'un monde en
mouvement où passé et présent se font
écho, où fuyant « l'exotique
et le pittoresque » le
voyageur peut se confronter au « familier
différent … la seule approche possible
d'un pays ».
Jacques
Lacarrière voit, entend, sent, goûte avec
acuité, et nourrit son récit de perceptions
qu'avive le recul du temps — « le
tac-tac de l'ultime barque à moteur …
qui rentre au
port » résonne avec plus d'insistance de
surnager
dans la mémoire. Furtivement abordées,
Crète
— L'ombre
de Digénis —, Salamine,
Patmos, Serifos, Alonissos, Psara, Chios — Les îles nues —,
revivent dans « l'odeur
des feuilles de figuier qu'on froisse dans ses
mains », dans l'écho
intarissable des voix stridentes criant « Pana-GHIO-tis,
Pana-GHIO-tis à l'heure du
déjeuner », dans
l'éclat persistant de Chara
— « Joie » —,
la barque rouge de Barba Yorgos.
Suspendues
à l'horizon, et à peine entrevues, d'autres
escales rappellent pourtant la proximité de l'enfer et du
paradis : « l'éblouissement
ressenti devant la beauté sévère de
l'île
d'Anaphi, au sud de Santorin » ne doit
pas laisser
oublier que comme Pholégandro, Léros ou Cassos
elle a
servi de lieu d'exil, de déportation et de torture
—
vieille traditon que Parménide mentionnait à
propos de
Yaros. Au nom de quoi, Jacques Lacarrière s'est interdit de « vivre
innocemment au paradis des îles grecques ».
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EXTRAIT |
ALONISSOS.
Une
des trois Sporades — les Iles Essaimées
— avec Skopélos et Skiathos. Ile sereine et douce.
Alonissos. Il
suffirait d'écrire Allonissos
pour
que ce nom veuille dire : l'Autre Ile. Mot
troublant :
l'île
« réelle » ne serait
que le reflet, le
double de l'île véritable, invisible à
nos yeux, ou
l'ultime vestige d'une île disparue ? C'est une
île
sereine et douce où la nuit descend très
lentement, sans
cette hâte, cette noirceur vorace qu'elle a dans les
îles
du sud. Les maison, si blanches depuis l'aube, se ternissent lentement
jusqu'à ce point de pénombre et de doute qu'on
nomme en
France entre
chien et loup mais qu'il
faudrait nommer ici entre
guêpe et abeille. Je
regarde la nuit, du haut d'une petite terrasse dominant le port et les
premières maisons. Et j'écoute ces bruits, chaque
soir presque
les mêmes : un âne qui braie lugubrement
(mais
aujourd'hui l'autre ne lui répond pas, on a dû
l'emmener
vers l'intérieur charger les premiers fûts de
résine à l'approche des vendanges et je l'imagine
marchant sur le sentier de Votsi, tout à sa tâche
en
apparence mais dressant l'oreille à cet appel
lointain) ;
des femmes criant après leurs gosses qui n'en ont cure et
s'égaient vers le port. Maintenant que la nuit est tout
à
fait tombée, qu'on ne distingue qu'à peine,
à
l'horizon, l'île des Deux Frères, deux
îlots nus,
abrupts, séparés par un étroit chenal
et
s'élevant à la même hauteur (et si on
se sentait
l'absurde envie de tout comprendre on pourrait questionner la terre sur
cet effondrement qui en séparant ces rochers les a rendus
à jamais fraternels) maintenant donc j'attends le dernier
bruit
du crépuscule, le tac-tac de l'ultime barque à
moteur,
celle qui rentre au port toujours après les autres et ne va
pas
tarder à dépasser le petit cap et venir se ranger
le long
du môle à droite. C'est la barque de Barba Yannis.
Et je
sais qu'avant d'en descendre et de venir s'asseoir à la
taverne
juste à côté, il va tourner et
retourner dans son
esquif, ranger les rames, la voile, l'ancre, les chiffons innombrables
où il fourre ses plombs et son fil de nylon pour la
traîne, (ces mille objets d'usage et d'apparence
indiscernables
sans lesquels il n'y aurait pourtant pas de vraie barque ni de vrai
pêcheur), qu'il va les mettre en place, les ajuster, les
vérifier et les revérifier. Comme si chaque soir,
il lui
fallait se prémunir contre l'imprévisible chaos
de la
nuit.
☐
pp. 308-309 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « L'été
grec : une Grèce quotidienne de 4000
ans »,
Paris : Plon (Terre humaine), 1976
- « L'été
grec : une Grèce quotidienne de 4000
ans » nouv.
éd. revue, corrigée et augmentée,
Paris :
Plon (Terre humaine), 1986
|
- « La Méditerranée
» (En
cheminant avec Hérodote, Les plus anciens voyages du monde,
Promenades dans la Grèce antique,
L'été grec, Le
buveur d'horizon), Paris : Robert Laffont (Bouquins), 2013
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mise-à-jour : 30
janvier 2013 |
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