En
cherchant Majorana : le physicien absolu / Etienne Klein. -
Sainte-Marguerite-sur-Mer : Ed. des Equateurs ;
Paris :
Flammarion, 2013. - 170 p. : ill. ;
21 cm.
ISBN
978-2-84990-259-2
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Physicien
de l'atome et docteur en philosophie des sciences, Etienne Klein
s'intéresse à la vie et aux recherches d'Ettore
Majorana
(1906-1938 ?), un des plus brillants théoriciens de
l'atome
dont les travaux continuent à stimuler la
réflexion des
spécialistes plusieurs décennies après
sa
mystérieuse disparition, quelque part entre Naples
où il
enseignait et la Sicile sa terre natale.
Etienne
Klein ne croit pas, comme l'a suggéré Leonardo Sciascia, que
Majorana puisse avoir fait
défection
— suicide, retrait ? —
par crainte de voir
ses recherches faciliter la conception d'une arme monstrueusement
destructrice, la bombe atomique. Il s'en tient à la position
défendue à l'époque par les
collègues de
Majorana, en particulier le professeur Edoardo Amaldi. Il est difficile
de contester cette analyse faute de connaissance sur un sujet aussi
ardu.
Peut-on
croire, cependant, que les réticences de
Majorana à poursuivre ses travaux aient
été
fondées plus généralement sur une
prévision
pessimiste des risques encourus dans la mise-en-œuvre de
toutes
formes d'application pratique susceptibles d'en
dériver — dans le champ civile
comme
militaire ?
Le dernier
chapitre de l'ouvrage,
en guise d'épilogue, s'ouvre
sur une citation de William James qui suggère une autre
piste
— celle d'un état profondément
dépressif, bien explicable en l'occurrence s'agissant d'un
esprit scientifique pénétrant, capable comme les
meilleurs joueurs d'échec, d'éclairer par
anticipation
les conséquences d'actions engagées sur
le terrain
scientifique autant que social. La trajectoire fulgurante d'Ettore
Majorana s'inscrit dans un contexte historique et
géographique
précis : l'Europe entre deux désastres.
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EXTRAIT |
[Majorana]
aurait-il anticipé, bien avant tous les autres physiciens,
l'avènement de la bombe atomique, comme l'a
suggéré Leonardo Sciascia dans La
disparition de Majorana ?
Aurait-il entrevu l'horreur d'Hiroshima et de
Nagasaki (…) ?
La thèse de Sciascia apparaît pure
fiction à
tous les historiens de la physique. Elle me fait songer à ce
que
Wittgenstein disait de Shakespeare : « Sa
singularité est une sorte d'infortune par le fait que pour
lui
trouver une place, on est obligé de lui en inventer une
faussement ». Reste que Leonardo Sciascia pose une
question
éthique fondamentale, celle de la responsabilité
du
physicien, de l'attitude qu'il devrait avoir lorsqu'il envisage les
éventuelles applications mortifères de ses
propres
découvertes ou de celles de ses collègues. La
puissance
que nous a donnée la physique à l'aube de la
Seconde
Guerre mondiale interdit qu'on élude pareille interrogation.
Quelque chose en tout cas s'est insinué dans la
vie
napolitaine de Majorana, à première vue paisible,
réglée, plaisante. Un doute, une menace, un
danger ?
Un éclair livide, oblique, annonciateur
d'événements complexes, de pièges, de
malheurs ? Le suicide de l'Europe est imminent et Majorana en
sait
quelque chose : il a grandi durant la Première
Guerre
mondiale, cette « marée de
sang » dont
parlait Yeats, cette installation de l'enfer juste au-dessus du sol. Il
n'ignore pas les correspondances entre la matrice des civilisations
avancées et la fabrique de l'inhumain. Il n'ignore pas que
les
sciences de la nature, les préoccupations intellectuelles,
l'art, de nombreuses formes d'érudition peuvent, dans le
temps
aussi bien que dans l'espace, fleurir très près
des lieux
de massacre.
☐ pp. 132-134 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- «
En cherchant Majorana :
le physicien absolu »,
Paris : Gallimard (Folio, 5891), 2015
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mise-à-jour : 19
juillet 2016 |
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