Histoire
d'Irène / Erri De Luca ; trad. de l'italien par
Danièle Valin. - Paris : Gallimard, 2015. -
121 p. ; 19 cm. - (Du Monde entier).
ISBN
978-2-07-014891-2
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Et
maintenant, tu es sur une île en train de recueillir des
histoires apportées par la mer.
☐ p. 65 |
L'Histoire
d'Irène
peut se lire comme un conte : sur une île
de la mer
Egée, un homme mûr rencontre une sirène
à
peine sortie de l'adolescence.
Mais Erri De Luca ancre cette
histoire immémoriale dans son époque
— où non moins qu'Irène il
imprime sa trace,
celle d'un écrivain familier des îles et du sens
qu'y
prend l'écoulement du temps : Hier trop tôt, demain
trop tard, l'invention du temps appartenait à chacun des
jours sur l'île
(p. 55). Ce savoir discrètement partagé
enrichit
l'échange entre la jeune fille qui nage avec les dauphins et
son
interlocuteur de hasard qui se souvient avoir vu nager les grandes
tortues qui vont par
lentes brassées de l'Afrique au Brésil
(p. 67).
Captivé
par ce dialogue au bord du monde, l'écrivain reste
à
l'écoute des hommes qui l'entourent ; il n'a pas
les
facilités d'Irène pour se nourrir et doit acheter
son
poisson :
C'est
bigrement pratique l'argent, il me permet de recevoir des mains de
Panteli le fruit de son travail au large, de ses veilles la nuit, de
ses gestes experts, (…).
Que pourrais-je lui donner en
échange, une histoire ?
Lui se contente d'un billet en
couleur qui porte un nom grec, euro, d'Europe.
À
moi, on me paie des droits d'auteur pour les histoires que
j'écris, et à la Grèce qui a
répandu dans
le monde son vocabulaire, même pas merci (p. 28).
Deux
brèves nouvelles complètent le recueil. Le ciel dans une
étable
relate la traversée entre Sorrente et Capri, à la
fin de
l'été 1943, d'une poignée de
rescapés qui
fuient l'armée allemande en déroute : Capri, c'était la
liberté à vue (p. 92).
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EXTRAIT |
En face d'elle, je me trouve dans une ancienne
infériorité, de démuni à
qui se
révèle une divinité.
Elle
sort de la mer non pas comme Aphrodite dans la nacre, mais comme la
sainte de l'apnée et des prairies inondées.
J'ai l'âge de son grand-père, mais elle
est plus
antique. Lui témoigner des attention séniles en
lui
offrant une paire de souliers, une robe neuve, un gâteau, ne
m'est pas autorisé.
Elle vient vers moi pour me remettre quelque chose. Elle n'a
pas
de choix parmi les hommes sur l'île, je suis la seule
écoute possible pour elle.
Il arrive aussi à la divinité des
Saintes Écritures de n'en avoir qu'un seul à
avertir.
Irène cherche en moi le vide de bouteille dans
lequel glisser son récit.
Elle sait que j'ai un bon bouchon en haut et que je ne le
perdrai pas en passant de la mer à la terre ferme.
Voilà que me revient une petite chanson
obscène de garçons : « Quand les
filles deviennent des bouteilles, les garçons veulent faire
les bouchons ».
Avec Irène, c'est le contraire, moi je suis la
bouteille
et aussi le bouchon. Elle est la vie qui cherche une place dans mon
abri en verre.
☐ pp. 27-28 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Storia
di Irene », Milano : Feltrinelli
(Narratori), 2013
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- « Acide,
arc-en-ciel », Paris : Rivages,
1994 ; Rivages
(Rivages poche, 201), 1996 ; Gallimard (Folio, 5302), 2011
- « Alzia »,
Paris : Payot & Rivages, 1998 ; Payot & Rivages
(Rivages poche, 382), 2002
- « Les poissons ne ferment pas les yeux »,
Paris : Gallimard (Du Monde entier), 2013
- « Sur
la trace de Nives », Paris : Gallimard,
2006 ; Gallimard (Folio, 4809), 2008
- «
Tu, mio », Paris : Payot & Rivages,
1998 ; Payot & Rivages (Rivages poche, 315), 2000
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mise-à-jour : 22
septembre 2015 |
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