Journaliste de radio pendant
de nombreuses années, Chantal Kerdilès devient
subitement muette. « Je dédicai de tirer un
trait sur une vie qui m'avait comblée et me mis en quête
d'un lieu paisible où écrire et me taire. Un lieu
où le silence serait acceptable. Ce fut la Polynésie … »
Mais le destin veille. Une guérisseuse
de Tahiti lui rend l'usage de la parole.
Puis c'est l'expérience
des Tuamotu.
|
CHANTAL KERDILÈS : […]
On m'accorda le privilège
d'aller enseigner aux Tuamotu, sur un atoll comptant une petite
soixantaine d'habitants. Je conciliais ainsi l'absolue nécessité
de gagner ma vie et la possibilité de mieux connaître
ce pays que j'avais choisi, dans ses réalités les
plus profondes. […] Les atolls m'offrirent la splendeur d'une
vie vraie où l'on apprend à se contenter de l'essentiel.
Je découvris des êtres durs à eux-mêmes,
habitués à ne compter que sur leurs propres possibilités,
mais capables de tendresse et d'attentions délicates,
pourvus d'un sens de l'observation peu commun.
[…]
On m'objectera que, limiter le
récit de ma vie aux Tuamotu à de simples histoires
de chiens, est faire preuve de peu de considération à
l'égard des habitants.
Je vais tenter de m'en expliquer.
Au bout de quelques mois de cette
vie d'îlienne oubliée, j'entamai un récit
à travers lequel j'essayai de montrer combien la vie sur
un atoll peut être riche d'évènements hauts
en couleur, mais également de valeurs quotidiennes qu'il
est difficile d'imaginer tant qu'on n'a pas effectué un
séjour prolongé sur ces terres isolées.
Je noircis avec fébrilité quelques deux cents pages
puis, vint le moment où rien ne marcha plus. J'étais
paralysée par une chose fort simple : tout ce qui faisait
l'attrait de mon récit devait inévitablement en
passer par l'évocation des drames et des joies de ceux
qui m'entouraient. Bref, j'éprouvai brutalement le pénible
sentiment de trahir ceux qui m'avaient offert leur affection.
C'était comme de dévoiler des secrets de famille.
Certes, c'était attrayant. Certes, la vie aux Tuamotu
se révélait parée de couleurs kaléidoscopiques
mais, la confiance dans tout ça !
Déçue de constater que je ne me sentais pas le
courage de m'approprier, même pour la bonne cause, ce qui
ne m'appartenait pas, je renonçai à un travail
qui m'avait occupée deux bonnes années.
Pendant ce temps les chiens étaient
entrés dans ma vie et, de façon si pittoresque,
que je tenais là l'occasion d'évoquer mes Tuamotu
bien aimées sans nuire à qui que ce soit. Bien
entendu, il est difficile de parler des chiens sans jamais faire
allusion à leurs maîtres mais, soucieuse de ne froisser
personne, j'ai veillé à confondre les personnages
même si le récit concernant la rencontre entre ces
Puce, Pacha, Koe, Biche et autres canins […] et moi-même,
est tout à fait conforme à la réalité.
[…]
☐ Préambule, pp. 9-12
|