Notes
d'Okinawa / Ōe Kenzaburō ; traduit du japonais par Corinne
Quentin. - Arles : Philippe Picquier, 2019. -
241 p. ;
21 cm.
ISBN 978-2-8097-1427-2
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NOTE
DE L'ÉDITEUR : Dans
les années 1960, Ōe Kenzaburō fait plusieurs
séjours sur
l'île d'Okinawa, noue des liens particuliers avec ses
habitants.
Ce carnet de voyage est le miroir de son désarroi moral face
aux
traumatismes subis par cette île. C'est aussi une critique
implacable de la domination coloniale du Japon de la
métropole
envers ces territoires excentrés.
Annexée par le
Japon à la fin du XIXe siècle, l'île
d'Okinawa a
été le théâtre de la
dernière et la
plus sanglante bataille de la deuxième guerre mondiale, qui
a
décimé plus d'un quart de la population, avant
d'être placée sous administration
américaine, qui y
établit des bases abritant des armes atomiques et
biologiques.
Ōe
Kenzaburō,
dans ce texte âpre, lyrique et désolé,
est une voix
sans concession, portée par les rencontres et les
amitiés
scellées avec les habitants de l'île, dont il
détaille l'oppression et suit les combats de près.
Et
lorsqu'il examine les notions de paix, de démocratie,
s'interroge sur ce que signifient la colère, l'empathie et
le
pardon, il parle à chacun de nous de questions qui nous
touchent
de près et pour lesquelles nous avons besoin de
réponses
essentielles.
Ōe Kenzaburō est
né en 1935 dans un village au milieu des
forêts de l’île de Shikoku où
il passa son
enfance. Il fera ensuite de brillantes études de lettres
à l’université de Tokyo, en particulier
de
littérature française.
En 1963,
la naissance de son premier fils handicapé, la rencontre des
victimes de Hiroshima lui découvrent
l’absurdité
cruelle d’un Mal dont son œuvre romanesque,
couronnée par le prix Nobel en 1994, ne va cesser de
questionner
la signification. Toute la réflexion d’Ōe est
dominée par une question semblable : comment
survivre
à la vérité ?
Défenseur
de la démocratie, il milite avec d’autres
intellectuels
pour que le Japon ne remette pas en cause
l’article 9 de sa
Constitution garantissant son pacifisme. Il est aussi
aujourd’hui
une figure centrale du militantisme contre
l’énergie
nucléaire.
— ill. Izutsu Hiroyuki
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Ce qui est important dans la vie, la morale essentielle, c'est
de maintenir et de transmettre un monde vivable aux vivants qui nous
suivent.
☐ “ Penser la
paix et la démocratie depuis Okinawa ”,
23 novembre, 2015 — p. 223 |
Entre
Chine continentale (à l'ouest) et Japon (au nord),
l'archipel
d'Okinawa compte plusieurs dizaines d'îles qui se sont
réunies au XVe
siècle
pour former le royaume de Ryūkyū afin de mieux résister aux
velléités hégémoniques de
leurs puissants
voisins ; mais au XIXe
siècle le Japon prend le contrôle de l'archipel
qu'il
réduit au statut de colonie, puis de simple
préfecture.
Pendant
la seconde Guerre mondiale, l'archipel allait être la
scène de combats d'une insoutenable atrocité
entre
Américains et Japonais — ces derniers
contraignant
les insulaires à une obéissance aveugle aux pires
injonctions des troupes impériales. A l'issue du conflit,
l'administration de l'archipel est abandonnée à
l'armée américaine qui y installe un gigantesque
complexe
militaire et ignore les aspirations de la population.
Quand
Ōe Kenzaburō rencontre l'archipel et ses habitants, les Etats-Unis
d'Amérique s'apprêtent à en restituer
l'administration
au Japon, sans renoncer à leurs installations
militaires où sont stockées des armes
nucléaires
et bactériologiques qui tiennent le premier rôle
dans la
guerre du Vietnam.
Citoyen
japonais, Ōe Kenzaburō s'interroge alors “ sur ce
qu'est un
Japonais et sur la possibilité de [se] transformer
[lui-même] en un Japonais qui ne serait pas ce genre de
Japonais-là ” (p. 20). Question
lancinante qui
ponctue les échanges noués par
l'écrivain avec la
population de l'archipel et notamment ceux qui se sont le plus
activement rebellés contre l'ordre extérieur.
Rédigés entre janvier 1969 et avril 1970, neuf
chapitres
écoutent la colère de l'archipel et la
leçon de
démocratie qui en émane.
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EXTRAIT |
Pourquoi
vais-je à Okinawa, cette voix à
l'intérieur de moi se superpose à la voix
d'Okinawa qui me rejette en disant que
viens-tu faire ici et me déchire sans cesse. Espèce de bon
à rien ! disent les deux voix
ensemble. Elles me harcèlent inlassablement avec cette
question : est-ce
qu'aller ainsi à Okinawa est facile ?
Non, aller à Okinawa n'est pas facile, c'est ce que je pense
au
fond de moi. A chaque fois que je me rends à Okinawa, je
sens
devenir toujours plus forte la pression qui en émane pour me
repousser. Ce qui constitue cette force qui me rejette, c'est
l'histoire, la situation actuelle, les gens, les choses, tout ce qui
reste à venir, et c'est parce qu'à ce rejet
subtil se
superpose la gentillesse absolue des gens que je me suis mis
à
aimer toujours davantage à chaque nouveau voyage, que la
question est si difficile.
☐ I — Le Japon est une
dépendance d'Okinawa, p. 19 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- “ 沖
縄ノート(Okinawa
nōto) ”, Tōkyō : Iwanami Shoten,
1970
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- “ Adieu
mon livre ”, trad. du japonais par Jean-Jacques
Tschudin, Arles : Philippe Picquier, 2013
- “
Ōe Kenzaburō, l'écrivain par
lui-même ”
entretiens avec Ozaki Mariko, trad. du japonais par Corinne Quentin, Arles : Philippe Picquier, 2014
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mise-à-jour : 7
janvier 2020 |
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