EXTRAIT |
Près du phare du Guiveur, on peut voir,
à mer basse, pendant les grands marées, les
fondations d'une agglomération disparue. Le Guiveur, village
noyé, a donné son nom au phare, grand cierge
funéraire veillant sur les maisons mortes. Des
tronçons de mur ont tenu bon. Des seuils de granit
où des vieilles, dissoutes à présent
dans la terre, se sont accroupies, apparaissent tout chevelus d'herbes
marines. La mer recouvre de son manteau glauque les larges pierres des
foyers, autels du feu, qui maintenant sont enveloppés d'un
suaire d'eau glacée. Guiveur a subi le sort des
légendaires cités disparues, Occismor, Is et
Tolente. Sein simple radeau dont le point le plus
élevé n'est qu'à douze
mètres au-dessus du niveau de la mer, est appelée
à disparaître.
La première offensive connue de la mer
contre Sein remonte à 1756. Elle faillit être
mortelle pour les insulaires, si bien que le duc d'Aiguillon, alors
gouverneur de Bretagne, ordonna l'évacuation de
l'île. Plus têtus que l'Océan, les
habitants refusèrent net d'obéir à cet
ordre ; voyant cela, le gouverneur fit élever sur
la rive sud une épaisse muraille destinée
à épauler la houle, c'est la digue du Rohic. Les
tempêtes de 1865, 1879, 1896, 1912, 1924 et 1929, ont
laissé des souvenirs de cauchemar dans l'esprit de certains
Iliens. Celle de 1929 s'accompagna d'un raz de marée
terrifiant.
Fanch, qui habite dans la partie basse du bourg,
m'a dit que, la veille, la mer bouillonnait comme une marmite sous
pression. Après avoir faillé être
enlevé par un tourbillon en ouvrant sa porte, il dut lutter
de toute la force de ses biceps de marin pour fermer ses volets que le
vent plaquait violemment contre le mur. Il était
resté des heures sans pouvoir dormir.
—
Quel tintamarre !… un roulement de
tonnerre … des cris de
damnés … un ronflement rageur sous la
toiture.
Un craquement formidable le réveille au
matin. C'est la porte qui saute, enfoncée par le coup de
bélier de la mer. Une lame furieuse envahit la chambre, le
balai flotte comme un aviron, les chaises se heurtent contre les murs,
les sabots-bottes se mettent à danser. Fanch n'a que le
temps de saisir ses chausses, de sauter sur l'échelle du
grenier, et de sortir par la lucarne du toit. On s'interpelle d'une
fenêtre à l'autre. Un fleuve écumant
coule entre les ruelles, et déjà les canots
viennent sauver les femmes et les enfants. Une partie de la population
s'est réfugiée dans l'église comme
dans l'Arche. C'est le point culminant de l'île.
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