Les îles Aran / John
M. Synge ; trad. et avant propos de Pierre Leyris ;
ill. de Jack Butler Yeats. - Castelnau-le-Lez : Éd.
Climats, 2000. - 203 p. : ill. ;
21 cm.
ISBN 2-84158-148-9
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En 1896, Yeat rencontre Synge
dans un hôtel parisien ; désireux de le tirer
de sa morbidité et de sa mélancolie, il
lui suggère de se rendre aux îles Aran
où il pourra trouver une vie qui n'eût
pas été exprimée en
littérature. Un an plus tard, Synge suit le
conseil de son aîné (Yeat est né en
1865, Synge en 1871).
À Aranmor (la
grande île, au nord de l'archipel), Inishmaan
(l'île du centre) et Inisher (l'île de l'est),
Synge ne trouve pas seulement l'occasion d'améliorer sa
pratique du gaélique, d'entendre de la bouche des
îliens contes et légendes en voie de disparition
ailleurs en Irlande, ni même de s'approcher d'un monde
primitif que d'autres, à la même
époque, partaient chercher aux antipodes ; le
contact âpre et doux du milieu insulaire infléchit
radicalement son approche — aussi
généreusement qu'il soit accueilli, il se
perçoit comme l'étranger et
perd son statut d'observateur : c'est lui désormais
qui se trouve sous le regard de l'île et de ses habitants.
L'expérience est décisive pour
l'écrivain, non moins que pour un homme affecté
de morbidité et de mélancolie.
Dans cette perspective
régénérée, le monde et la
vie qui s'y joue gagnent une profondeur saisissante, une
opacité parfois, qui marque les meilleurs pages du recueil.
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EXTRAITS |
La matinée avait
été magnifique, mais lorsque l'on descendit le
cercueil dans la fosse le tonnerre se mit à rouler dans le
ciel et des grêlons sifflèrent dans les
fougères.
A Inishmaan, on est forcé de croire à une
sympathie entre l'homme et la nature, et, à ce moment
où le tonnerre fit entendre un bourdon funèbre
d'une extraordinaire grandeur qui couvrait les voix des femmes, je vis
les visages près de moi raidis et tirés par
l'émotion.
Quand le cercueil fut dans la fosse et que le tonnerre se fut
éloigné à travers les monts de Clare,
la lamentation reprit plus passionnément que devant.
Le chagrin de la lamentation ne relève pas d'une affliction
personnelle causée par la mort d'une femme de plus de
quatre-vingts ans, mais semble nourri de toute la fureur
passionnée qui est tapie quelque part chez tout
indigène de l'île. Dans ce cri de douleur, la
conscience intime semble se mettre à nu pour un instant et
révéler l'état d'âme
d'êtres humains qui ressentent leur isolement face
à un univers dont les vents et les flots leur font la
guerre. Ils se taisent habituellement, mais en présence de
la mort tout simulacre d'indifférence ou de patience est
oublié, et ils hurlent de désespoir,
pitoyablement, devant l'horreur du destin auquel ils sont tous
condamnés.
☐
pp. 47-48
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À certains égards ces hommes
et ces femmes semblent être étrangement loin de
moi. Ils ont les mêmes émotions que moi et que les
animaux, et pourtant, alors qu'il y aurait beaucoup à dire,
je ne peux pas leur parler davantage qu'au chien qui gémit
près de moi dans un brouillard de montagne.
Je ne puis guère passer une heure auprès d'eux
sans ressentir le choc d'une idée inimaginable, et puis, peu
après, le choc d'une vague émotion qui leur est
familière comme à moi. Certains jours je ressens
cette île comme un chez-moi et comme un lieu de repos
parfaits ; d'autre jours, je me sens comme une
épave parmi les îliens. Je suis davantage en
communion de sentiments avec eux qu'ils ne peuvent l'être
avec moi, et tandis que j'erre parmi eux, tantôt je leurs
plais, tantôt ils se moquent de moi, mais ils ne comprennent
jamais ce que je fais.
Le soir, je rencontre parfois une fille qui a à peine quinze
ans, mais qui semble pourtant, à certains égards,
avoir une conscience plus développée que qui que
ce soit que j'aie rencontré ici. Elle a passé une
partie de sa vie sur le continent et la désillusion qu'elle
a éprouvée à Galway a donné
couleur à son imagination.
Tandis que nous sommes assis sur des tabourets de part et d'autre du
feu, j'entends sa voix aller et venir dans une même phrase de
la gaieté d'un enfant à l'intonation plaintive
d'une vieille race usée par la peine. À un
moment, c'est une simple paysanne ; à un autre,
elle semble contempler le monde avec un désenchantement
préhistorique et résumer dans l'expression de ses
yeux gris-bleu toute la détresse extérieure des
nuages et de la mer.
p. 99
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Il commença à critiquer avec
beaucoup de pénétration et de
sévérité la version que
l'archevêque MacHale a faite des Mélodies
irlandaises de Moore, citant des poèmes entiers en
anglais et en irlandais, puis donnant les versions qu'il en avait
faites lui-même.
« Une traduction n'est pas une traduction, dit-il,
si elle ne vous donne pas la musique du poème en
même temps que les paroles. Dans ma traduction, vous ne
trouverez pas un pied ou une syllabe qui ne soit pas dans l'anglais,
pourtant j'ai mis tout ce que les mots disent et rien d'autres.
L'ouvrage de l'archevêque est quelque chose de
pitoyable. »
D'après les vers qu'il citait, son jugement semblait
parfaitement justifié, et quand bien même il
aurait eu tort, il est intéressant de noter que ce pauvre
marin et gardien de nuit n'hésitait pas à se
dresser contre un dignitaire et un érudit éminent
et à le critiquer sur des points de versification assez
délicats et sur les distinctions les plus subtiles entre de
vieux termes gaéliques.
☐
p. 139
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Un homme qui habite à l'autre bout du
village prit un jour son fusil et s'en fut chercher des lapins dans un
fourré proche du petit Dun. Il vit un lapin assis sur son
séant sous un arbre et il leva son fusil pour le viser, mais
juste au moment où il le mettait en joue il entendit une
espèce de musique au-dessus de sa tête et il
regarda en l'air. Lorsqu'il voulut ramener ses regards sur le lapin,
celui-ci avait disparu.
Après ça, il continua et il entendit de nouveau
la musique. Alors il regarda par-dessus un mur et il vit un lapin assis
près du mur avec une espèce de flûte
dans la gueule et qui en jouait avec ses deux doigts !
« Quelle espèce de lapin
était-ce là ? demanda la vieille femme
quand on eut fini. Ça pouvait-il être un vrai
lapin ? Je me rappelle que le vieux Pat Dirane nous racontait
qu'un jour qu'il se trouvait sur les falaises il avait vu un gros lapin
blotti dans un trou sous une pierre plate. Il appela un homme qui
l'accompagnait et ils mirent un crochet au bout d'un bâton,
et ils l'enfoncèrent dans le trou. Alors une voix
s'éleva, s'adressant à eux :
« Ah ! Phaddrick, ne me fais pas de mal
avec ton crochet ! »
« Pat était un fieffé coquin,
dit le vieil homme. »
☐
p. 147
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « The
Aran islands » with drawings by Jack B. Yeats,
Dublin : Maunsel, 1907
|
- « Les
îles Aran » trad. Pierre Leyris,
Castelnau-le-Lez : Éd. Climats, 1990,
2006 ; Paris :
Payot et Rivages (Petite bibliothèque voyageurs, 302), 2002
|
- « Les
îles d'Aran » trad. Hubert Comte,
Paris : Éditions maritimes et d'outre-mer, 1979
- « Les
îles d'Aran » trad. Béatrice
Vierne, Paris : Anatolia, 1995
- « Les
îles Aran » trad. Léon
Bazalgette, Rennes : Terre de brume, 2000
|
- « My
wallet of photographs : the collected photographs of J.M.
Synge » arranged and introduced by Lilo Stephens,
Dublin : The Dolmen press, 1971 — photos
prises par Synge dans les
îles d’Aran entre 1898 et 1902
|
- « Théâtre
complet » trad. de l'anglo-irlandais par
Françoise
Morvan, Besançon : Les Solitaires intempestifs
(Traductions
du XXIème
siècle), 2005
|
- Jill
Franks, « " Those Three Lonely
Rocks " : John
Millington Synge and the Aran Islands », in Islands and the
modernists : the allure of isolation in art, literature and
science, Jefferson (NC) : McFarland, 2006
- Jérôme
Thélot, « John Millington Synge.
L'île absolue » in Poésie et
insularité
textes réunis et édités par Gregory
Lee,
Lyon : Université Jean Moulin Lyon 3
(Transtext(e)s
Transcultures, Journal of global cultural studies, HS), 2008
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→
« Home, sweet home : la maison sublimée des
Îles d'Aran — Hommage à John Millington
Synge », de paysage en paysage – incursions en espace des toute nature et de toutes culture, 2013 [en ligne]→
Frédéric Barbe, « La montée des
îles Aran dans la bibliothèque mondiale, une glocalisation
littéraire », Cybergeo : European Journal of Geography, 2014 [en ligne] |
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mise-à-jour : 6 avril 2020 |
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