John Millington Synge

Théâtre complet, traduit de l'anglo-irlandais, présenté et annoté par Françoise Morvan

Les Solitaires intempestifs - Traductions du XXIème siècle

Besançon, 2005

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Irlande
parutions 2005
Théâtre complet / John Millington Synge ; traduit de l'anglo-irlandais, présenté et annoté par Françoise Morvan. - Besançon : Les Solitaires intempestifs, 2005. - 444 p. ; 18 cm. - (Traductions du XXIème siècle).
ISBN 2-84681-123-7
NOTE DE L'ÉDITEUR : Le théâtre de John Millington Synge (1871-1909), le plus célèbre dramaturge irlandais avec Yeats et Beckett, est né, bien loin des milieux littéraires, d'une expérience de vie dans les îles d'Aran, à l'extrême ouest de l'Irlande, et d'une langue duelle, l'anglais pensé en gaélique tel que le parlaient les pêcheurs. Transposée au théâtre, cette langue devait faire scandale : de véritables émeutes accueillirent la création du Baladin du monde occidental en 1907 1 et Synge mourut sans pouvoir achever sa dernière pièce, Deirdre des douleurs. Pour la première fois, le pari a été fait de traduire tout son théâtre 2 comme un long poème, sans normaliser sa langue mais, au contraire, en la transposant dans un français influencé par les structures du breton qui en restitue la dualité, le rythme et la vigueur.
        
1.« La pièce a été représentée pour la première fois au Théâtre de l'Abbaye en 1907. (…) La traduction du titre de la plus célèbre pièce pièce de Synge, qui est peut-être aussi la plus célèbre pièce du répertoire irlandais, pose des problèmes qui révèlent à eux seuls toute la complexité de la langue de Synge. Maurice Bourgeois, son premier traducteur, a trouvé pour The Playboy of the Western World, un équivalent qui est resté une sorte de référence obligatoire, Le Baladin du monde occidental. Il s'en explique (…) en préface de sa traduction, parue chez Gallimard en 1942 : (…) Le mot mi-humoristique et mi-poétique " playboy " fait partie de l'anglo-irlandais populaire et traduit le gaélique " buachaill barra ", littéralement " garçon de jeu " (…). Quant à " the Western world ", ce n'est autre chose que la traduction du gaélique " an domhain shiar ", qui désigne la côte ouest de l'Irlande (…). Tout est dit : le playboy est celui qui a en lui l'esprit du jeu, l'énergie, la force de création qui peut mener au mensonge ou à la poésie ; le Western world, le monde de l'ouest, c'est le monde de l'Irlande qui porte cette poésie, cette liberté, cet élan fantasque. » Françoise Morvan, « Le Baladin du monde occidental (Le Beau parleur des terres de l'ouest) », Note sur le texte, pp. 217-218.
2.« Cavaliers de la mer », « L'ombre de la vallée », « La fontaine aux saints », « Les noces du rétameur », « Le baladin du monde occidental » et « Deirdre des douleurs ».
EXTRAIT
LE BALADIN DU MONDE OCCIDENTAL
(LE BEAU PARLEUR DES TERRES DE L'OUEST)
,
Acte premier


PEGEEN, venant du comptoir. — Et donc, il a rien fait. (À Christy.) Si vous n'avez commis ni meurtre, ni mauvaise action, ni action déshonnête ; ni fausse monnaie, ni volerie, ni boucherie, ou chose pareille comme ça, alors y a rien qui vaille que vous soyez à vous esquinter à courir. Vous n'avez rien fait du tout.

CHRISTY, blessé. — Voilà une chose bien mal aimable à dire à un pauvre orphelin qui voyage, une prison derrière lui, la corde de potence en devant, et la bouche de l'enfer grande ouverte sous ses pieds.

PEGEEN, faisant signe aux hommes de se taire. — C'est vous qui le dites. Vous n'avez rien fait du tout. Un garçon doux pareil comme vous, vous pourriez pas couper le sifflet à une truie qui crierait.

CHRISTY, offusqué. — C'est pas la vérité que vous dites.

PEGEEN, feignant la colère. — Pas la vérité ? Vous voulez pas que je vous mette une coup de manche à balai sur votre tête ?

CHRISTY, se retournant soudain vers elle avec un grand cri d'horreur. — Me cognez pas. C'est juste en faisant comme ça que j'ai tué mon pauvre père 1 mardi d'en huit.

PEGEEN, abasourdie. — C'était donc tuer votre père ?

CHRISTY, soudain abattu. — Avec l'aide de Dieu, sûr, je l'ai fait, Notre Sainte Mère Immaculée intercède pour son âme.

PHILLY, battant en retraite avec Jimmy. — Il a du cœur au ventre, ce gars-là.

JIMMY. — Oh, bon Dieu de gloire de Dieu !

MICHAEL, pris d'un grand respect. — C'est un vrai crime à pendre, ça, monsieur mon ami. Il a du vous falloir des bonnes raisons pour faire une chose pareille comme ça.

CHRISTY, sur un ton très raisonnable. — C'était un sale bonhomme, Dieu lui pardonne, qui tournait vieux, grignoux au point que j'étais à bout de l'endurer.

PEGEEN. — Et vous l'avez tué à coup de fusil ?

CHRISTY, secouant la tête en signe de dénégation. — Jamais j'ai fait usage d'armes. J'ai pas de permis et je suis un garçon qui défend la loi.

MICHAEL. — Alors peut-être bien avec un cran d'arrêt ? J'ai vu dire que sur la grande terre 2, c'est avec des couteaux pleins de sang qu'ils font ça.

CHRISTY, scandalisé, haussant le ton. — Vous me prenez pour un boucher ?

pp. 241-243
       
1.En annexe, Françoise Morvan présente l'extrait du recueil « Les îles d'Aran » où la pièce prend sa source : « Un (…) vieil homme, le plus vieux de l'île, aime à me raconter des anecdotes — pas des légendes — à propos des choses qui se sont produites ici de son vivant. Il me parle souvent d'un homme du Connaught qui avait tué son père d'un coup de bêche dans un accès de rage et qui s'était enfui dans l'île (…) » ; puis Synge estime nécessaire de commenter l'attitude des îliens vis-à-vis du criminel : « Cette tendance spontanée à protéger le criminel est universelle dans l'ouest. Elle semble due en partie au fait que l'on associe la justice avec la juridiction anglaise détestée, et plus directement à ce sentiment primitif commun chez ces hommes — qui, s'ils ne sont jamais criminels, sont toujours capables de crime — qu'on ne vient à commettre un méfait que sous l'influence d'une passion, aussi irresponsable qu'une tempête en mer. Qu'un homme ait tué son père et soit déjà malade, dévoré de remords, ils ne voient pas pourquoi on devrait l'emmener de force et le tuer au nom de la loi » — Le vieillard de l'île, p. 428.
2.Sur la grande terre : in the big world ne désigne pas seulement le continent mais l'étranger, l'extérieur, tout ce qui ne relève pas du domaine propre du paysan irlandais (NdT).
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « The works of John M. Synge » vol. 1, Dublin : Maunsel, 1910 (contient In the Shadow of the Glen, Riders to the Sea, The Tinker's Wedding, The Well of Saints)
  • « The works of John M. Synge » vol. 2, Dublin : Maunsel, 1910 (contient The Playboy of the Western World, Deirdre of the Sorrows)
  • « Cavaliers de la mer [suivi de] L'ombre de la vallée » trad. de Françoise Morvan, ill. de Jack B. Yeats, Bedée : Folle avoine, 1993
  • « La fontaine aux saints » préface de William B. Yeats, ill. de Jack B. Yeats, trad., présentation et notes de Françoise Morvan, Bedée : Folle avoine, 1995 ; « La source des saints » trad. de Noëlle Renaude, Montreuil : Éditions Théâtrales, 2017
  • « Le baladin du monde occidental » précédé de J.M. Synge et l'Irlande de son temps par William Butler Yeats, trad. de Françoise Morvan, ill. de Jack B. Yeats, Bedée : Folle avoine, 1993
  • « Deirdre des douleurs » trad. de Françoise Morvan, Bedée : Folle avoine, 1994
  • « Théâtre » traduit de l'anglo-irlandais, présenté et annoté par Françoise Morvan, Arles : Actes sud (Babel, 199), 1996
  • « Les îles Aran » trad. et avant propos de Pierre Leyris, Castelnau-le-Lez : Éd. Climats, 1990, 2000
  • « Dans le Wicklow, l'ouest du Kerry et le Connemara » trad. de l'anglais par Bernard Hoepffner avec la collab. de Catherine Goffaux, ill. de Jack B. Yeats, Castelnau-le-Lez : Climats, 1996

mise-à-jour : 29 août 2019

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