Modeste proposition [suivie de] Voyage chez les Houyhnhnms,
chap. XII / Jonathan Swift ;
présentation par Raoul Vaneigem ; trad. de
l'anglais par
Léon de Wailly ; suivi de Pouquoi une faim galopante au
XXIe siècle et comment l'éradiquer, par
Eric Toussaint et Damien Millet. - Le Pré
Saint-Gervais :
Le Passager clandestin, 2010. - 75 p. ;
17 cm.
ISBN
978-2-916952-29-1
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| À
notre époque, Swift n'aurait guère à
forcer son imagination.
☐ Raoul Vaneigem, Désespérer
le désespoir et en finir avec la logique suicidaire, p. 14 |
En 1729, quand il fait paraître sa Modeste proposition, Jonathan
Swift (1667-1745) est, depuis une quinzaine d'années, Doyen de la
cathédrale de Saint-Patrick (Anglican church of
Ireland) ;
il combat vigoureusement la politique de colonisation anglaise en
Irlande, ce qui lui vaut entre autres l'inimitié de la reine
Anne.La Modeste
proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande
d'être à la charge de leurs parents ou de leur
pays et
pour les rendre utiles au public est un cri de
colère
violent mais raisonné, ce qui accentue sa force de frappe. Swift
propose
en effet aux propriétaires terriens — les
landlords —
qu'il tient pour responsables de la misère du peuple
irlandais
d'aller au bout de leur logique en mangeant les enfants des
pauvres : “ j'accorde que cet aliment sera
un peu cher,
ce qui le destinera tout particulièrement aux
propriétaires qui, puisqu'ils ont déjà
dévoré la plupart des pères — as they have already
devoured most of the parents —,
paraissent avoir le plus de droits sur les enfants ”
(p. 34).Dix
ans après la parution du pamphlet la famine frappe
l'île ; selon certains historiens les
conséquences
sont alors comparables à celles de la Grande famine qui,
entre 1845 et 1852, causera la mort de 10 % de la population. |
INCIPIT |
C’est
une triste chose, pour ceux qui se promènent dans cette
grande
ville ou voyagent dans la campagne que de voir les rues, les routes et
les portes des cabanes encombrées de mendiantes que suivent
trois, quatre ou six enfants en haillons qui importunent les passants
pour avoir l’aumône. Ces mères, au lieu
d’être en état de gagner
honnêtement leur vie,
sont forcées de passer leur temps à mendier de
quoi
nourrir leurs malheureux enfants qui, faute de travail, deviennent
voleurs en grandissant, ou quittent leur cher pays natal pour
s’enrôler au service du prétendant en
Espagne ou se
vendent aux Barbades.
Tous les partis tombent d’accord, je
pense, que ce nombre prodigieux d’enfants sur les bras, le
dos ou
sur les talons de leurs mères (et souvent de leurs
pères)
est, dans le déplorable état de ce royaume, un
lourd
fardeau supplémentaire. C’est pourquoi quiconque
trouverait un moyen honnête, économique et facile
de faire
de ces enfants des membres sains et utiles de la communauté
mériterait assez la reconnaissance du public pour
qu’on
lui érigeât une statue comme sauveur de la nation.
Mais,
loin de se borner aux enfants des mendiants de profession, ma
sollicitude embrasse l'ensemble des enfants d’un certain
âge dès lors qu'ils sont nés de parents
aussi peu
en état de pourvoir à leurs besoins que ceux qui
demandent la charité dans les rues.
Pour ma part, ayant,
depuis bien des années, fait de cet important sujet le
centre de
mes réflexions et mûrement pesé les
propositions de
nos faiseurs de projets, je les ai toujours vus tomber dans de
grossières erreurs de calcul.
Il est vrai qu’un
enfant dont la mère vient d’accoucher peut vivre
de son
lait pendant une année solaire, à quoi s'ajoutera
une
nourriture d'appoint pour une valeur de deux shillings au plus, que la
mère peut certainement se procurer, ou
l’équivalent
en rogatons, dans l'exercice légitime de son
métier de
mendiante. Mais c’est à ce moment
précis où
les enfants franchissent le seuil de leur première
année
que je propose de prendre à leur égard des
mesures telles
qu’au lieu d’être une charge pour leurs
parents ou
leur paroisse, ou de manquer d’aliments et de
vêtements le
reste de leur vie, ils contribuent, au contraire, à nourrir
et
en partie vêtir des milliers de personnes.
☐ Modeste proposition, pp. 29-31 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « A
modest proposal for preventing the children of poor people from
becoming a burthen to their parents or country, and for making them
beneficial to the publick », Dublin :
printed by S.
Harding, 1729
- « Modeste
proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande
d'être à charge à leurs parents ou
à leur
pays et pour les rendre utiles au public » in Opuscules humoristiques de
Swift, traduits pour la première fois par
Léon de Wailly, Paris : Poulet-Malassis et De
Broise, 1859
|
- « Modeste
proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande
d'être à charge de leurs parents ou de leur
pays et pour les rendre utiles au public » [précédée de]
« Lettre
d'avis à un jeune poète et proposition pour
l'encouragement de la poésie en
Irlande », Paris : Albatroz (Mémoire, 203), 1991
- « Modeste
proposition pour empêcher les enfants des pauvres
d'être
à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les
rendre
utiles au public », Paris : Mille et une
nuits, 1995,
2001, 2006
- «
Modeste
proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande
d'être à charge à leurs parents ou
à leur
pays et pour les rendre utiles au public », in Instructions aux domestiques, et
Opuscules humoristiques, Paris : Union
générale d'éditions (10/18, 2909), 1997
- « Modeste
proposition pour empêcher les
enfants des pauvres d'être à la charge de leurs
parents ou
de leur pays
et pour les rendre utiles au public »
[précédée de] Jean-Olivier
Héron,
« Modeste proposition pour garantir la
sécurité d'Israël et le bien
être des
Palestiniens en attendant la paix qui s'ensuivra
peut-être », Paris : La
Découverte, 2002
- « Modeste
proposition, et autres textes », Paris :
Gallimard (Folio 2,
5423), 2012
- « Modeste
proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande
d'être à la charge de leurs parents et de leur
pays et
pour les rendre utiles à la
société »,
in Bévues,
défauts, désolations et infortunes de Quilca, Montélimar :
Voix d'encre, 2013
- « Modeste
proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande
d'être à la charge de leurs parents ou de leur
pays et
pour les rendre utiles au public », in Résolution pour
l'époque où je deviendrai vieux, et autres
Opuscules humoristiques, Paris : Flammarion
(GF), 2014
- « Modeste
proposition », Rouen : La Robe noire, 2016
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mise-à-jour : 6
juillet 2016 |
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