Bohane,
sombre cité / Kevin Barry ; trad. de l'anglais
(Irlande)
par Pierre Girard et Martin Tatum. - Arles : Actes sud, 2015.
-
326 p. : ill. ; 22 cm.
ISBN
978-2-330-04807-5
|
|
C'est
sans conteste une assez mince couche de civilisation que nous avons
étalée sur nous, à Bohane.
☐
p. 307 |
NOTE
DE L'ÉDITEUR
: 2053. Loin de sa grandeur d'autrefois, la ville de
Bohane, sur la
côte ouest de l'Irlande, est à genoux,
gangrenée
par le vice et partagée selon des lignes tribales. Des
poches
bourgeoises subsistent, mais c'est dans les bas-fonds et les
arrière-cours de Smoketown, dans les tours du quartier de
Northside Rises et les sinistres marais du Big Nothin' que bat le
cœur de la cité.
Pendant des années,
Logan
Hartnett, le boss du gang Hartnett Fancy toujours tiré
à
quatre épingles, a maintenu la ville sous sa poigne. Mais le
vent de la discorde se lève : on raconte que son
vieil
ennemi est de retour en ville ; ses fidèles hommes
de main
commencent à faire preuve d'ambition ; et sa
moitié
voudrait qu'il raccroche et file droit … Tout
ça
sans compter sa mère.
Roman
visionnaire qui mêle de
nombreuses influences, du cinéma au roman graphique et des
légendes celtiques aux sagas, Bohane, sombre cité s'inscrit
au cœur de la littérature irlandaise. Fascinante
œuvre d'imagination, ce roman, couronné du
prestigieux
International IMPAC Dublin Literary Award, signale Kevin Barry comme
l'un des auteurs les plus inventifs de sa
génération.
→
Lire
le compte-rendu de l'édition originale par Pete Hamill dans
le New
York Times,
29 mars 2012 [en
ligne]
|
EXTRAIT |
Dans la défaite, bien sûr, la population
se tournait
très souvent vers la religion. Il suffisait de
très peu
de chose pour provoquer un renouveau de la foi en Sweet Baba Jay. Et
dans les jours qui suivirent l'apparition de faux stigmates sur les
paumes de la petite Cusak, il y eut plusieurs réunions
hystériques dans des bistrots clandestins abrités
dans
les sous-sols des immeubles. On s'évanouissait, on tombait
en
pâmoison, on tapait des pieds. Il y avait pas mal de
rugissements. Les provocateurs avaient rangé leurs
chaînes, leurs ceinturons et leurs poignards, et ils
ruisselaient
de transpiration en se balançant dans les bouges pour
remercier
son Indescriptible Douceur à travers leurs larmes. Ces
garçons étaient pris de violents tremblements et
il
arrivait souvent que leurs genoux faiblissent et que leurs jambes se
dérobent sous eux quand ils recevaient la Parole des
Messagers
Invisibles. Il y eut ensuite miracle sur miracle
— comme il
se doit — et on apprit que l'icône de SBJ
qui
trônait en haut de la fontaine à Croppy Boy
Heights
s'était mise à pleurer des larmes de sang.
D'ailleurs, la
fille aux stigmates, la petite Cusak, l'avait vu de ses yeux fervents.
Et la congrégation était donc à genoux
autour de
l'icône, jour et nuit, priant pour de nouveaux signes. On
voyait,
sur les avenues désolées, les Norries qui
s'étreignaient les uns les autres en murmurant des paroles
de
bénédiction. On se rendait visite à
minuit. En un
rien de temps, Sweet Baba Jay se montra partout. On disait que Sa
Bonté avait souri sur le mur d'une taverne ; sous
la forme
d'un nuage au-dessus des tours Louis MacNeice. Qu'elle
s'était
matérialisée, et avait tremblé,
quoique
brièvement, dans une flaque tout en haut des 98 Marches. Des
Norries se réveillaient la nuit, en pleurs, et se dressaient
sur
leur séant pour appeler l'Amour sur le Monde. Des DJ norries
avaient remballé leurs 33 tours de dub et
leurs 45 tours de Trojan et animaient désormais les
réunions de bistrot avec des hymnes et de la musique
sacrée jouée à la harpe. Les femmes de
Northside
adoptaient des tenues plus convenables. Elles suivaient les processions
à la gloire de leur saint patron dans la chaleur torride des
après-midi. Elles murmuraient en marchant des neuvaines
à
moitié oubliées. Nombre d'entre elles
constatèrent
que leurs cheveux avaient pris de l'éclat. Tout le monde
portait
des couleurs sur ses joues. On n'allait pratiquement plus en
centre-ville. On priait pour les pécheurs qui y vivaient car
on
avait pitié d'eux. On leur pardonnait les pertes
récemment subies. On pardonnait ceux qui étaient
tombés et ceux qui étaient morts.
☐
pp. 266-267 |
|
COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « City
of Bohane », London : Jonathan Cape, 2011
|
- «
Night boat to Tangier »,
Edinburgh : Canongate, 2019 ;
« Dernier bateau
pour Tanger » trad. par Carine Chichereau,
Paris :
Buchet-Chastel, 2020
- «
Beatlebone », Edinburgh : Canongate,
2015 ;
« L'œuf de Lennon »
trad. par Carine
Chichereau, Paris : Buchet-Chastel, 2017
- « Dark
lies the island »,
London : Jonathan Cape, 2012
- «
There are little kingdoms », Dublin : Stinging fly press, 2007
|
- Kevin
Barry (ed.), « Town and country : new Irish
short
stories », London : Faber and Faber, 2013
|
|
|
mise-à-jour : 28
octobre 2020 |
|
|
|