Un long long
chemin / Sebastian Barry ; trad. de l'anglais (Irlande) par
Florence Lévy-Paoloni. - Paris : Joëlle
Losfeld, 2006.
- 317 p. ; 22 cm.
ISBN
2-07-078974-8
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La
malédiction du monde, ce sont les gens qui n'ont comme
idée que celles qu'on leur a données. Ce ne sont
pas
leurs idées à eux. Elles sont comme des coucous
dans leur
tête. Leurs idées à eux sont
chassées et les
idées du coucou mises à leur place.
☐ p. 18 |
William
Dunne 1
est
né en 1896. Enfant — « il chantait
si bien » ;
il a douze ans quand meurt sa mère, tombe amoureux de
Gretta,
espère plus tard devenir policier comme son père
mais
doit y renoncer quand il apparaît qu'il n'atteindra
jamais « un
mètre quatre-vingt, la taille réglementaire pour
être recruté » …
« ce
fut alors que surgit cette étrange période de
guerre et,
à l'encontre de ce que souhaitait Gretta, il voulut
partir ».
Aux premiers mois de 1915 William est sur le
front, en Flandres, aux côtés de soldats
britanniques,
français, algériens, …
Très vite
l'horreur du conflit se double d'une déchirure
intérieure ; en effet cet engagement met en cause,
aux yeux
de certains, la loyauté de son attachement à
l'Irlande.
Le soupçon pèse sur tous ceux qui ont suivi la
même
voie, exprimé en son temps par le jugement sans appel de
Roger
Casement, not Irishmen
but English soldiers 2.
Et le soupçon se fait accusation quand William, en
permission,
rend visite à Gretta ; elle lui parle de son propre
père qui « s'est
échappé du camp de Curragh l'année
dernière
parce qu'il disait qu'il préférait être
fusillé comme déserteur plutôt
qu'être un
soldat anglais vivant ».
L'allusion
délibérément
cruelle n'est pourtant pas la moindre surprise que réserve
à William son ultime retour sur la terre natale —
ni la
moins atroce conséquence, pour lui, de la folie qui ravage
l'Europe.
1. |
Sebastian Barry, dans son
précédent roman, s'était
intéressé au destin d'Anne, la sœur de
William. |
2. |
Cf. Thomas P. Dooley, « Irishmen
or English soldiers ? The
times and world of a southern Catholic Irish
man (1876-1916) enlisting
in the British
army during the First World War »,
Liverpool : Liverpool university press, 1995
(référence citée par
Sebastian Barry à la
fin du roman). |
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EXTRAIT |
C'était
le soir et ils se trouvaient dans leurs nouvelles tranchées.
Il
faisait déjà nuit quand ils étaient
arrivés
et ils ne savaient pas vraiment à quoi ressemblait ce qui
les
entourait, sinon, bien sûr, qu'il y avait pas mal de tirs et
les
bruits habituels. Les hommes parlaient comme ils le faisaient toujours
et le dîner avait été plutôt
bon, bien qu'un
peu frugal. Willie était assis dans un coin de la
tranchée où quelqu'un de
réfléchi avait
creusé une niche soignée. C'était
l'occasion
d'écrire à son père.
Belgique
26 avril 1916
Cher Papa,
Comment ça
va
avec tout ce qui se passe, êtes-vous tous en bonne
santé
et en sécurité ? J'espère que
tu
m'écriras et que tu me le diras. J'ai vu moi-même
l'agitation à Dublin juste quand je partais.
J'espère de
tout mon cœur que tu seras prudent et que tu feras attention.
Ici, les hommes considèrent cette histoire avec beaucoup de
mépris. Il paraît que les Fritz on mis une affiche
en face
des tranchées des Munster. On y lisait que Dublin
était
à feu et à sang et les Anglais tuaient les femmes
et les
enfants chez eux. Enfin, les Munster n'en ont pas pensé
beaucoup
de bien et ils se sont tous mis à chanter God Save the King.
La nuit dernière, je crois, ou peut-être la nuit
précédente, ils sont sortis la nuit et son
allés
chercher l'affiche. Mon sergent dit que beaucoup de ces types sont des
Volunteers à tout crin et des fervents partisans du Home
Rule ; il ne s'attendait pas à ce qu'ils
connaissent les
paroles de God Save the
King et
encore moins à ce qu'ils le chantent aux Boches. Je prie
pour
que tu ailles bien ainsi que les filles. Quels bons moments nous avons
passé quand nous étions tous petits ! Je
ne sais pas
pourquoi je dis ça. Aucun homme en Irlande n'a mieux servi
l'Irlande que toi. Personne ne saura jamais combien ça t'a
coûté. Je pense aux jours ordinaires, quand je
faisais le
tour des cours du château avec toi le soir. Je t'assure que
tu
nous as élevés comme un vrai père. Si
Dolly n'a
pas de mère, elle a un père aussi bon que
n'importe
quelle mère, je le crois vraiment. S'il te plaît,
écris-moi à la première occasion et
dis-moi ce qui
s'est passé.
Ton fils
affectionné,
Willie
Le
lendemain matin, après l'alerte et une aube comme une
rangée de lames étincelantes, une
étrange
lumière gris ardoise mélangée
à celle du
soleil qui se glissait à travers les bois en lambeaux, le
capitaine Sheridan lut une communication du quartier
général selon laquelle une attaque au gaz
était
attendue incessamment.
☐
pp. 116-117 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « A
long long way », London : Faber and Faber,
2005
|
- «
Des milliers de lunes »,
Paris : Joëlle Losfeld, 2021
- «
Des jours sans fin »,
Paris : Joëlle Losfeld, 2018
- « L'homme
provisoire », Paris : Joëlle
Losfeld, 2014
- « Du
côté de Canaan »,
Paris : Joëlle Losfeld, 2012
- « En
appelant Psyché »,
L'Île-Saint-Denis : Voix navigables, 2010
- « La
fierté de Parnell Street »,
L'Île-Saint-Denis : Voix navigables, 2010
- « Le
testament caché », Paris :
Joëlle Losfeld,
2009 ; Paris : Gallimard (Folio, 5172), 2010
- « Les
fistons », Paris : L'Harmattan
(Théâtre des 5 continents, 179), 2006
- « Annie
Dunne », Paris : Joëlle Losfeld,
2005
- « Les
tribulations d'Eneas McNulty », Paris :
Plon (Feux
croisés), 1999 ; Paris : 10/18 (Domaine
étranger, 3613), 2004
- « Le
régisseur de la
chrétienté »,
Paris : Ed. Théâtrales, SACD, 1996
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mise-à-jour : 2 juillet 2021 |
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