Le « décivilisé »
/ Charles Renel ; préface de Nivo Galibert ;
postface de Jean-Pierre Domenichini. - Saint Denis (La Réunion) :
Grand océan, 1998. - 215 p. ; 26 cm. -
(Le roman colonial).
ISBN 2-912862-05-1
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NIVO GALIBERT : Charles Renel [1866-1925] a toujours été
perçu, suivant le mot du Dr. Rakoto-Ratsimamanga, comme
« un des rares Français des débuts de
la colonisation à comprendre les Malgaches, en particulier
les Hova et les Merina ».
Directeur de l'enseignement à
Madagascar pendant tout le premier quart de l'ère coloniale,
il est aussi l'auteur de plusieurs essais […], romans […]
et recueils de contes de Madagascar, et il s'est fait remarquer
par sa volonté de contacts avec le monde indigène
immédiat ainsi que par ses études ethnographiques
fouillées.
[…] Au moment où beaucoup
s'accordent à constater la dégradation du monde
exotique et à exprimer leur désenchantement devant
la vacuité de la terre au XXe siècle, la vision idyllique de
la Grande Ile se développe, même conjuguée
avec les leitmotive du dénigrement systématique :
c'est bien le thème innovateur de la « décivilisation »,
pointant l'idéal rousseauiste, qui caractérise
le mieux la représentation de Madagascar au XXe
siècle.
C'est justement à Renel
que le motif doit sa paternité, ainsi que le cycle romanesque
qui en a découlé, et rapidement. […] C'est dire
l'importance, pour l'histoire littéraire franco-malgache,
de ce roman […].
[…] Renel fut le premier, en
1923, à camper le personnage de l'Européen qui
rêve de retrouver son humanité corrompue par la
« civilisation » en se ressourçant
à Madagascar, en adhérant à la vie primitive
dans les villages malgaches : le « décivilisé ».
[…]
☐ Préface, pp. 7-8
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SERGE MEITINGER et J.-C.
CARPANIN MARIMOUTOU :
Charles Renel […] malgré la teneur critique de son roman
[…] fait la part belle à l'exotisme au sens ordinaire
du terme. Il situe son héros dans une ambiance idyllique
bien que cette dernière soit présentée en
même temps comme une cause de régression. L'ambiguïté
est constante : un discours fortement critique et ironique ne
cesse de relativiser les valeurs, dépouillant la civilisation
européenne de ses prétentions à être
la Civilisation et dénonçant les dégâts
irréparables engendrés par le « progrès » ;
mais d'autre part, le désir d'un retour aux origines,
le charme d'une vie primitive ignorantes des contraintes liées
au développement économique sont présentés
comme une tentation régressive. Le livre essaye de faire
d'une pierre deux coups et y réussit assez bien :
flatter et satisfaire le lecteur, d'un côté, grâce
au plaisir procuré par le texte, description riche, minutieuse
et séduisante d'une vie encore proche de ses sources,
vision d'une nature encore intacte ; éveiller, de
l'autre, son esprit à l'idée relativiste. Le roman
se termine sur la mobilisation générale d'août
1914 qui, ô paradoxe, est le choc salutaire qui fait réintégrer
au héros les valeurs de sa civilisation. Charles Renel
a inventé ici l'idylle critique, la nostalgie des origines
de l'humanité ne se séparant pas de la conscience
historique et culturelle qui interdit tout retour aux sources.
☐ « Océan
Indien », Paris : Omnibus, 1998 (Introduction,
pp. VII-VIII)
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EXTRAIT |
La nuit est complètement
tombée. Le ciel ardent fourmille d'étoiles. Les
voix murmurantes de la terre, dans l'air apaisé, s'élèvent
vers le scintillement infini, comme des prières.
Il semble au descendant des races
occidentales, créatrices de mythologies, que le dieu inconnu
rit à ses enfants universels, avec les yeux clignotants
des millions d'astres. Les lucioles vivantes peuplent l'ombre
comme d'âmes rôdeuses. Voici qu'Adhémar ressent
confusément dans sa chair l'anxiété mystérieuse
de la Nuit, mère des dieux et des fantômes. Il a
conscience qu'à pénétrer seul à cette
heure sous la sombre voûte, il éprouverait l'horreur
sacrée de l'ancêtre lointain qui rampait, halluciné,
sous les feuillages frissonnants. Cette peur est absurde, il
le sent, mais il est incapable de dominer la répulsion
héréditaire. Il a presque hâte de retourner
au village des hommes pour entendre les rires des enfants jouant
dans les ténèbres, tout près des seuils
encadrés de lumière, et les conversations des gens
réunis dans les cases autour des foyers. Il se rapproche.
Les bruits se précisent : coups sourds d'une hache,
abois d'un chien, rire d'enfants, pilonnement du riz …
Il songe que, sans doute, il
est le seul Européen à vingt ou trente kilomètres
autour de ce lieu, et cette solitude lui crée presque
une royauté. Il a honte en même temps de l'espèce
de terreur sacrée qu'il vient de ressentir. Est-ce une
emprise physique de la forêt, un frisson de fièvre,
ou bien un signe de l'involution qui le ramène peu à
peu, lui, le civilisé, vers la mentalité des Betsimisârak ?
☐ pp. 119-120
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Le “ décivilisé ” »,
Paris : Flammarion, 1923
- « Le “ décivilisé ” » in Serge Meitinger et J.-C.
Carpanin Marimoutou (éd.), Océan
Indien, Paris : Omnibus, 1998
- « Le
“ décivilisé ” »
présentation de Claire Riffard avec la collaboration de Roger
Little, Paris : L'Harmattan (Autrement mêmes, 105), 2014
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- « La
fille de l'île rouge », Paris : Flammarion,
1924 ; Saint-Etienne : Publications de l'Université de
Saint-Etienne, 2012
- « L'oncle d'Afrique »,
Paris : Flammarion, 1926 ; réédité
sous le titre : « L'oncle d'Afrique, ou La métisse »,
Saint-Denis : Grand océan ; Sainte-Clotilde :
Orphie, 2005
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- Jean-François Reverzy,
« Le transfert insulaire : essai sur le roman
colonial malgache », in L'insularité, thématique
et représentations [actes du colloque de Saint-Denis
(La Réunion), 1992], textes réunis par Jean-Claude
Marimoutou et Jean-Michel Racault, Paris : L'Harmattan,
1995
- Dominique Ranaivoson, « L'Imérinienne
de La Fille de l'île rouge de Charles Renel »,
in Jean-François Durand et Michel Naumann (dir.), Nudité,
sauvagerie, fantasmes coloniaux dans les littératures
coloniales [actes du colloque de la SIELEC, 2003], Paris
& Pondichéry : Kailash, 2004
- Delphine Burguet, « Charles Renel
et le culte traditionnel : des carnets de voyage aux oeuvres
romanesques et scientifiques : une lecture anthropologique du
culte traditionnel à Madagascar à travers ses écrits »,
Taloha, n° 14-15, 2005
- Alain Tirefort, « Femmes
et métisses malgaches dans la trilogie de Charles Renel »,
in Jacques Weber (dir.), Littérature et histoire coloniale
[actes du colloque de Nantes, 6 décembre 2003], Paris :
Les Indes savantes, 2005
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mise-à-jour : 8 juin 2020 |
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