EVELYNE TROUILLOT : Cinq nouvelles, brèves, légères
et subtiles. Des thèmes récurrents dans notre littérature
mais charriant avec eux une charge d'émotions et de réalités
crues qui les rend toujours brûlants. C'est sans doute
ce mélange d'une écriture limpide et originale
et de thèmes violents qui donne à ce recueil de
nouvelles son charme.
[…] Par touches subtiles de
dérision, d'humour et de sensibilité, le texte
questionne et bouscule l'hypocrisie des bonnes gens, l'injustice
persistante entre le rural et l'urbain ; il s'attarde avec
délicatesse sur le conflit entre le bonheur individuel
et le destin collectif ; il frôle la désespérance
d'une mère qui, folle de douleur, ne peut qu'attendre
la mort en s'étiolant. Nous échappons à
la banalité car l'angle choisi pour traiter les thèmes
projette un éclairage inattendu, à la fois vif
et poignant, évitant sans peine toute mièvrerie.
Les entrées intempestives
du créole, allusions subversives à une réalité
complexe et bouleversante, donnent au recueil un cachet irrévérencieux
sans tomber pour autant dans le piège du folklorisme.
[…]
Les cinq nouvelles sont toutes
racontées à la première personne, renforçant
le caractère intimiste du texte. Le narrateur de temps
à autre fait des clins d'œil complices au lecteur, comme
pour partager avec lui sa « petite part de chaleur,
de tendresse ». Car en dépit de la violence
des textes, nous y retrouvons beaucoup de douceur et de bonheur
tout simple, beaucoup d'humour et d'humanité, comme pour
nous dire que le soleil se lèvera toujours. D'ailleurs,
au milieu de ces horreurs, viol, meurtre, avortement, agonie
et mort, douleur et angoisse, la nature est omniprésente,
dans toute sa beauté luxuriante et quotidienne, repère
solide et familier ; de même que des nombreuses références
au pouvoir des mots, nous ramènent à la littérature
et à sa magie. « Une fois pris au charme des
mots, qui peut s'en échapper ? »
[…]
Les mendiantes de soleil nous révèle une voix nouvelle,
jeune, fraîche et sensible. Pour arriver à produire
cette apparence diaphane avec une thématique aussi dure,
Cynthia Bastien a du s'engager avec passion dans l'aventure créatrice.
Je lui dis tout simplement « bienvenue ! »
☐ Présentation, pp. 11-14
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EXTRAIT |
Mademoiselle Laura était
brillante en tout disait couramment Marraine.
Comme Marraine avait eu la « clairvoyance »
de la faire naître aux Etats-Unis, après l'année
scolaire qui viendrait, elle partirait « vers de nouveaux
cieux, faire de nouvelles conquêtes » avait
dit Marraine parlant à la marraine de Laura ...
Cette marraine, lorsqu'elle venait
en Haïti y était accueillie en reine. Rien n'était
trop beau pour la marraine de Laura … Les époux
André lui cédaient leur chambre et toute la maison
était aux petits soins pour la « providentielle
marraine de Laura » qui chaque mois rappelait
son existence par un providentiel transfè …
« Ce mot fait office
de Sésame dans la société haïtienne.
« Sésame ? J'ai déjà entendu
ce mot, dans l'histoire des quarante voleurs que tu m'avais racontée
avais-je dit ce jour-là, heureuse de me retrouver pour
une fois dans le discours de Monsieur Robert.
« Lorsque je dis que ce mot fait office de Sésame,
c'est que l'argent ouvre bien des portes. »
J'avais hoché la tête
pour de bon cette fois-ci. J'avais enfin compris pourquoi Marraine
qui n'ouvrait la bouche que pour blesser ses pareils n'usait
que de mots gentils en parlant d'une amie absente …
Il me semblait, lorsque je voyais
l'imposante matrone s'asseoir sur sa dodine le téléphone
en main que sa bouche n'avait d'autre but : semer le maximum
de peine et de confusion dans son entourage. De son venin, personne
n'était exempté pas même ses frères …
☐ Alawonnbadè 1, pp. 32-33
1. | Le mot alawonnbadè vient de l'expression anglaise « all around by there » et signifie tout autour d'ici. |
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