Matisse et Tahiti [catalogue
d'exposition : Nice, Galerie des Ponchettes, 4 juillet-30
septembre 1986] / sous la dir. de Xavier Girard [commissaire
général]. - Nice : Musée
Matisse, 1986. - 157 p. : ill. ;
26 cm. - (Cahiers Henri Matisse, 1).
ISBN 2-901412-03-3
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En 1930, Matisse passe trois mois
à Tahiti et aux Tuamotu (atoll d'Apataki). Il a peu
« produit » pendant ce
séjour : il n'aurait ramené qu'un seul
« tableau », un petit (14x18 cm)
panneau de bois peint à l'huile
représentant un bouquet de cocotiers, une
« pochade » selon ses propres
termes 1.
Dans ses propos, dans ses lettres, le
peintre a plusieurs fois évoqué ses
souvenirs : « A Tahiti, j'ai pu
apprécier la lumière — la
lumière comme pure matière —
et la terre de corail. C'est un pays à la fois superbe et
plein d'ennui. Cette terre ignore les soucis, alors que nous avons les
nôtres depuis l'âge le plus tendre,
qui contribuent probablement à nous maintenir
vivants. Là-bas le temps est beau dès le lever du
soleil et demeure inchangé jusqu'au soir. Un bonheur
à ce point immuable est lassant. » 2
La trace de cette
échappée est pourtant durable, profonde, et
féconde. On connait l'image obsessionnelle
d'un yacht au mouillage, inscrit dans la découpe
d'une fenêtre ouverte sur le port de Papeete. Elle
apparaît une première fois
associée au poème de Mallarmé Les
Fenêtres (Skira, 1932) ; quatre ans plus
tard, c'est un premier carton de tapisserie, un dessin, un second
carton de tapisserie ; plus tard le thème migre,
sert d'arrière plan au portrait à la
blouse verte, se reflète dans un miroir,
s'interpose entre le peintre et son
modèle …
Plus significative encore est
l'irruption, puis la multiplication de formes, de couleurs et de
techniques directement empruntées au milieu et aux
traditions de Polynésie ; une veine
particulièrement riche : lagons et feuilles de
lagon, vagues, poissons, coraux et madrépores, oiseaux. Ces
images luxuriantes prennent place dans des compositions qui leurs sont
dédiées — Océanie
le ciel, Océanie la mer, Polynésie le ciel,
Polynésie la mer —,
s'inscrivent dans une vision synchrétique où
s'harmonisent la mer et le soleil, le monde grec et le monde
polynésien — Amphitrite —,
puis élargissent progressivement leur emprise — vitraux
de la chapelle du Rosaire à Vence, La Musique où
de gigantesques feuilles d'arbre à pain circonscrivent
l'espace à l'arrière-plan.
1. |
Lettre
à Mme Matisse du 13 avril 1930. |
2. |
Extrait
de “ Matisse speaks ”, entretien
avec Tériade, Art News Annual,
n° 21, 1952 ; retraduit de l'anglais et
annoté par Dominique Fourcade, “ Henri
Matisse, écrits et propos sur l'art ”,
Paris : Hermann, 1972 |
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EXTRAIT |
Xavier Girard
Vous placez le caractère de
« haute gravité » de
l'art de Matisse sous le signe de l'Age d'Or et vous distinguez dans
l'histoire de ce thème des phases successives. Pourriez-vous
évoquer, au regard de l'épisode
polynésien, cette évolution ?
Pierre Schneider
Le sujet central de Matisse est, effectivement,
pour moi, l'Age d'Or. Il l'a en quelque sorte traité en
trois grandes phases successives.
Dans la première, c'est la mythologie qui est la
référence. C'est-à-dire la formulation
gréco-latine de l'Age d'Or, toute cette nova
progenies, cette « race
nouvelle » comme dit Virgile dans la IVe Bucolique qui sort, en droite ligne, de la
mythologie, de la Joie de Vivre et de Luxe,
calme et volupté jusqu'à La
Danse et à La Musique.
Dans la deuxième, il ne peut plus se servir de la mythologie
ou, plus exactement, il lui faut — étant
passé du mythe à la réalité
quotidienne —
« géographiser »
l'âge d'or : ça a
été le Maroc. […] Mais la
Polynésie ne pourra servir aussitôt parce que trop
littérale. Il lui a fallu la décanter,
l'abstraire. L'abstraction s'est faite par le temps. On ne voit
émerger vraiment les signes polynésiens que dans
le Ronsard. On le voit beaucoup plus nettement encore dans les lagons
qui marquent d'ailleurs le glissement de la thématique de Jazz,
du cirque et du conte occidental à cette espèce
de troisième phase, de troisième avatar de
l'âge d'or qu'est la version polynésienne.
☐ p. 16
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Corinne Boureau, « Henri
Matisse : quand l'aube se détache de la nuit »,
Paris : L'Harmattan (Amarante), 2019
- Théano Jaillet et Riccardo Pineri (dir.), « Après Gauguin : la peinture à Tahiti de 1903 aux années 60 », Puna'auia (Tahiti) : Musée de Tahiti et des îles, Te fare manaha, 2015
- John Klein, « Matisse après Tahiti, la maturation d'une expérience exotique » in Dominique Szymusiak (dir.), Matisse et l'Océanie : le voyage à Tahiti, Le Cateau-Cambrésis : Musée Matisse, 1998
- Paule Laudon, « Matisse : le voyage en Polynésie » avec des photos inédites, Paris : Adam Biro, 1999
- Alain
Mousseigne, Pierre Schneider, Xavier Girard (et al.),
« Matisse, Ajaccio-Toulouse, 1898-1899 :
une saison de
peinture », Nice : Musée
Matisse (Cahiers
Henri Matisse, 4) ;
Toulouse : Musée d'art moderne, 1986
- Jean-Marc Olivesi, « Voyages d'artistes en Corse aux XIXe et XXe siècles », Ajaccio : La Marge, 1993
- R.P. Patrick O'Reilly, « Peintres de Tahiti », Paris : Société des Océanistes (Dossier, 23), 1978
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mise-à-jour : 2 août 2021 |
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Lagons,
ne seriez-vous pas
une
des sept merveilles du
Paradis
des peintres ?
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