L'œil-cerveau,
nouvelles histoires de la peinture moderne / Eric Alliez ;
avec la
collaboration de Jean-Clet Martin. - Paris : Vrin, 2007. -
479 p. : ill. ; 21 cm. - (Essais
d'art et de
philosophie).
ISBN
978-2-7116-1909-2
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cet
ouvrage n'a d'autre objet que de mettre à jour la
pensée
à l'œuvre dans la “ peinture
moderne ” — que ça pense et
comment ça y
pense …
☐ Avant-propos, p. 9 |
L'essai d'Eric Alliez,
écrit avec la collaboration de Jean-Clet Martin, questionne
autant l'art moderne que
la philosophie dans leurs aptitudes respectives à penser
— en vue de déjouer la complexité des
rapports entre le voir et le dire (p. 10) et de
frayer, entre histoire de la philosophie et histoire de l'art, une
traverse libre où suivre
les mutations du rapport entre l'Œil et le Cerveau (p. 11).
Gauguin
trouve naturellement sa place (ch. 5, pp. 295-367)
dans ce
parcours, autant par la radicalité des œuvres qui
assurent
sa notoriété que par l'insistance et la vigueur
des
commentaires et analyses dont il n'a cessé de les
accompagner,
au risque parfois d'une sur-exposition ou d'une excessive mise
à
distance ; à Charles Morice parlant d'un
« art
cérébral pur », le peintre
semble
répondre quand il affirme :
« mon centre
artistique est dans mon cerveau et pas ailleurs ».Eric
Alliez et Jean-Clet Martin ne manquent donc pas de matière
pour
explorer ce qui se dit ou tente de se dire dans la grande toile D'où
venons-nous ? Que sommes-nous ? Où
allons-nous ? — apportant au
passage un précieux éclairage sur l'influence du Sartor resartus de
Thomas Carlyle —, mais également dans
d'autres
œuvres marquantes du cycle polynésien au nombre
desquelles
Ia Orana Maria, Portrait de Vaïté Goupil, Manao
Tupapau,
Cavaliers sur la plage, L'homme à la hache, Mahana no Atua ou
encore l'inquiétant Oviri,
« œuvre
sculpturale en céramé
grand-feu » que Gauguin
destinait à sa propre tombe.Le long
développement consacré à Te nave nave fenua
(1892) doit retenir l'attention ; c'est pour les auteurs la toile la plus provocante de
Gauguin :
« une femme née de la terre, d'une
animalité
ignorante des frontières entre
génitalité et
végétalité (…) une Eve
dominante dont la
" beauté animale " est du premier jour
(…) » (p. 359). Un parallèle
s'impose avec le
poème inspiré à Saint-John Perse par
l'une des
figures féminines de la grande
toile — L'Animale (absent
des Œuvres complètes éditées
dans la
Pléiade) : « Elle est la terre
même, et la
forme terreuse / l'évidence de la chose
argile ».Cet
éclairage sur Gauguin et son œuvre prend toute sa
portée dans le dialogue mis en scène avec les
autres
protagonistes de l'essai, qu'ils figurent au premier plan, comme Goethe
exposant sa théorie
des couleurs, Delacroix, Manet, Seurat ou
Cézanne, où qu'ils soient appelés
comme témoins, tels parmi d'autres Diderot, Baudelaire ou Taine. ❙ | Eric
Alliez, docteur ès-lettres en philosophie, ancien titulaire de
la chaire d'esthétique à l'Académie des Beaux-Arts
de Vienne, est Senior Research Fellow à Middlesex University
(Londres). | ❙ | Jean-Clet
Martin est professeur agrégé, docteur ès-lettres
en philosophie. Ses travaux portent sur l'esthétique et la
littérature. |
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EXTRAIT |
Pour
saisir l'éblouissement produit par Tahiti sur Gauguin
à
son arrivée en juin 1891, et ceci malgré son
séjour en Martinique quelques années auparavant,
pour
percevoir l'étendue et la nature du trouble s'emparant alors
du
peintre, il faut tout d'abord rappeler que ce n'est
précisément pas au supposé
« romantisme
géographique » du paysage mais au visage,
au
caractère du visage maori qu'il s'initie aussitôt.
Et
ceci, dans une série de portraits où le peintre
montre
ces visages non pas comme l'incarnation des
éléments
mythiques propres à une culture vierge (et ce n'est donc pas
du
« symbolisme »), mais
marqués par la
rapide disparition de « l'ancien état de
choses », en associant une mélancolique
rêverie
(Faaturuma
[Mélancolique ou Rêverie])
à l'engourdissement suscité par le silence de la
nature
qui poétiquement résiste (à
l'écart de
« ce tas d'adjectifs […] si familiers
à Pierre
Loti » 1), silence
« encore plus étrange que le
reste »,
étrange « comme un frôlement
d'esprit » (Te
faaturuma [Le silence ou Etre
morne]). Etrangeté
par oxymore apparue aussi à l'occasion d'une Tête
de tahitienne avec la
substitution, à « l'œil qui
écoute », de La
fleur qui écoute, titre de
ce qui fut peut-être la première version de la
cézanienne Vahine
no te tiare [La femme à la fleur]
vêtue de la robe imposée par les missionnaires,
tenant
dans la main une fleur qui semble s'être
détachée
du papier peint …, et qui veut montrer ce que Noa
Noa
décrit : « Elle avait une fleur
à l'oreille
qui écoutait son parfum ». Au vu du
« feu
robuste d'une force contenue » 2
qu'elle manifeste et du régime unique de son rendu
troublé ne ressemblant à rien de ce qui avait
été fait jusque là, cette Tête
de tahitienne à La
fleur qui écoute
donne à percevoir les sensations imprégnant ces
« notes et croquis de toutes
sortes » entrepris
par Gauguin à son arrivée, quand
« tout
[l'] aveuglait, [l'] éblouissait dans le
paysage et
qu'il ne pouvait se résoudre à le rendre tel sur
la toile.
☐
pp. 347-348
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « The brain-eye : new histories
of modern painting » translated by Robin Mackay, London, New
York : Rowman & Littlefield International, 2016
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mise-à-jour : 27 juillet 2021 |
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