Œuvres
romanesques / Selma Lagerlöf ; trad. du suédois par
Marc de Gouvenain, Lena Grumbach, André Bellesort et Michel
Praneuf. - Arles : Actes Sud, 2014. - 1113 p. ;
21 cm. - (Thesaurus).
ISBN 978-2-330-03245-6
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NOTE DE L'ÉDITEUR : Sur un îlot de la côte
suédoise, un vieux couple vit dans la solitude et le dénuement.
Leur fils aîné a disparu à jamais […].
Un beau jour, il revient au village pour fuir le mépris
des hommes : lors d'une expédition polaire qui a tourné
au désastre, il aurait survécu en mangeant de la
chair humaine. Pécheur impardonnable, il est maudit. Le
pasteur du village, d'abord disposé à l'aider,
ne peut s'empêcher de le blâmer lorsqu'il vient assister
à l'office. Voilà Sven Elversson mis au ban de
la communauté.
Un rayon de lumière semble
apparaître un jour en la personne de Sigrun, une jeune
femme solitaire et romantique que la pasteur vient d'épouser.
Native d'une lointaine province du nord, cette âme brisée
se sent perdue dans son nouvel environnement, elle étouffe.
La rencontre, très chaste, avec Sven sera pour elle un
véritable réconfort. Mais le pasteur n'entend pas
devenir la cible des quolibets …
Sans jamais déroger au
respect de la morale, la secrète passion de Sven et Sigrun
illustre le droit de ressentir profondément des sentiments
dont l'expression est interdite. ❙ Première
femme distinguée par le prix Nobel de littérature, en
1909, Selma Lagerlöf (1858-1940) oppose le portrait de Sven
Elversson suspecté de s'être livré au cannibalisme
et le tableau d'une société profondément hypocrite. Au terme du roman, publié en 1918, un Discours sur le caractère sacré de la vie
porte une charge violente contre la guerre
— « détestable et
répugnante » — et proclame la
réhabilitation du banni. |
EXTRAIT |
Sven
Elversson, l'homme que les deux vieux de Grimön avaient accueilli
parce qu'il était leur fils, se trouvait dans l'église
d'Applum et remerciait Dieu d'avoir trouvé un refuge où
nul ne le considérait avec aversion et répugnance.
Sur cette petite île isolée, pauvre et rocheuse,
peuplée de ses deux habitants, il n'avait pas à redouter
la vue de ces bouches dont les commissures se tordaient de
dégoût. Le père était âgé, il
ne ressentait plus aucune aversion, parce qu'il n'éprouvait plus
aucun de ces sentiments forts que pouvaient être l'envie ou la
répugnance. La mère, elle, disposait de toute sa
sensibilité, mais son amour passait avant.
L'église
dans laquelle se trouvait Sven Elversson était une vieille
église en bois, au plafond décoré d'une grande
fresque représentant le Jugement dernier. Chaque fois qu'il
levait les yeux, son regard tombait invariablement sur un grand diable
noir et ricanant, occupé à remuer les braises d'un feu
au-dessus duquel était suspendue une grosse marmite contenant
quelques péch eurs en train de bouillir dans un jus
jaunâtre et écumant. Sven Elversson reconnaissait ce
diable de sa dernière entrée dans cette église,
dix-sept ans plus tôt. Personne n'aurait pu l'oublier, avec sa
longue queue en fourche à trois branches, dont il se servait
avec habileté pour touiller dans sa marmite de cuivre.
Enfant,
Sven avait souvent eu présent à l'esprit ce maître
cuisinier qui s'occupait avec grande habileté à la fois
de son feu et de sa marmite. Mais, en ce moment, il n'avait qu'une
pensée en tête : « Si tous ceux qui chaque
dimanche contemplent ce drôle de démon au fourneau
apprenaient que parmi eux se trouve un homme qui a réellement
tenu un morceeau de chair humaine entre ses lèvres, ils ne
supporteraient certainement pas ma présence dans leur
église.
Je
ne sais pas si c'est la seule, pensa-t-il, mais voilà bien une
chose que les hommes civilisés n'arrivent pas à
commettre. Ils tuent, ils pratiquent l'adultère, ils volent, ils
exercent des violences, ils succombent vite à l'ivrognerie, au
viol, à la trahison, à l'indiscrétion. Tout cela,
ils le commettent quotidiennement. Ces choses répugnent
peut-être à certains, mais elles adviennent quand
même. L'un des vieux péchés de l'humanité
n'est cependant plus commis dans les pays civilisés. Et s'il
n'est pas commis, c'est qu'il suscite de la répugnance. Mais
moi, j'ai commis ce péché-là. Et je suis plus
haï que le diable. »
☐ pp. 747-748 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
- « Bannlyst », Stockholm : Albert Bonnier, 1918
- « L'exilé »
trad. du suédois par Ladislas Perl, Paris : Paris :
Edgar Malfère, 1933
- « Le banni »
trad. du suédois par Marc de Gouvenain et Lena Grumbach,
Arles : Actes Sud, 1999, 2001
- « Le sac de Visby par Valdemar Atterdag », in Œuvres romanesques, Arles : Actes Sud (Thesaurus), 2014
- « Vineta », in Œuvres romanesques, Arles : Actes Sud (Thesaurus), 2014
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mise-à-jour : 13 mai 2014 |
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