Emilio Salgari

Le corsaire noir, et autres romans exotiques

Robert Laffont - Bouquins

Paris, 2002
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errances
regards sur l'Insulinde

parutions 2002

Le corsaire noir, et autres romans exotiques / Emilio Salgari ; éd. établie et présentée par Matthieu Letourneux ; trad. de l'italien par Jean de Casamassimi, Edouard Guénou et Jean Fargeau. - Paris : Robert Laffont, 2002. - XXXI-855 p. ; 20 cm. - (Bouquins).
ISBN 2-221-09636-3
… l'ingénuité du style, la naïveté de la construction du récit, la simplicité de l'univers mis en place, toutes ces maladresses qui, isolées, conduiraient à un récit médiocre (…) se constituent chez Salgari en un réseau contribuant au charme qui envoûte le lecteur et éveille en lui une nostalogie sans objet : le souvenir d'une relation innocente à la lecture …

Matthieu Letourneux, Préface, p. XXV

Romancier de l'aventure exotique mais lui-même
aventurier sédentaire, Emilio Salgari (1862-1911) a été comparé à Jules Verne, Karl May, Fenimore Cooper, Ridder Haggard, Eugène Süe ou même Alexandre Dumas. Le volume, la popularité 1 et la diffusion de son œuvre peuvent expliquer le parallèle ; au-delà, il est plus fructueux de s'attacher à ce qui distingue nettement les romans de Salgari de la plupart de ceux qui ont, depuis la fin du XIXe siècle, su captiver des foules de lecteurs.
L'œuvre de Salgari retient en effet l'attention par l'absence de sentiment nationaliste, le rejet du colonialisme et la faible part qu'y prend le progrès technique. Les personnages féminins sont au second plan mais jouent un rôle déterminant dans l'intrigue ; quant aux héros qui ne cessent de déployer une énergie proche de la frénésie et souvent empreinte de sauvagerie, « ce sont des personnages au bord du gouffre, toujours menacés de perdre leur solidité (…) des soleils sur le déclin, dont la puissance est en quelque sorte le révélateur de leur paradoxale fragilité » 2.

On retrouve ces traits dans les quatre romans qui forment le recueil. Les deux premiers sont issus du cycle indo-malais : Les mystères de la jungle noire se déroule dans l'archipel des Sunderbunds (Sunderbans) à l'embouchure du Gange — « se risquer en ces lieux, c'est aller au devant de la mort » 3 ; Les tigres de Mompracem met en scène un temps fort de l'affrontement entre pirates malais — les tigres de Mompracem (une île imaginaire au large de Bornéo) — et soldats britanniques — les léopards de Labuan 4. Les deux romans qui suivent ont pour cadre la mer Caraïbe et s'inscrivent dans l'histoire des flibustiers de La Tortue : après avoir sacrifié l'amour à la vengeance dans Le corsaire noir, le héros tente d'inverser le destin dans La reine des Caraïbes : « si le trajet du héros reproduit les étapes de son aventure précédente, c'est qu'il s'agit pour lui de réécrire l'aventure initiale, et de faire de La reine des Caraïbes le palimpseste du Corsaire noir » 5. Mais chez Salgari les amours abouties mettent un terme à l'aventure … et le pirate s'embourgeoise, fût-ce sur une autre île.
       
1. Parmi ses lecteurs : Jorge Luis Borges, Umberto Eco, Federico Fellini, Carlos Fuentes, Gabriel García Márquez, Che Guevara, Pablo Neruda, Pier Paolo Pasolini, Cesare Pavese, Octavio Paz, Giacomo Puccini, Jean-Paul Sartre, Luis Sepúlveda, Luchino Visconti, …
2. Matthieu Letourneux, Préface, p. XIX.
3. Les mystères de la jungle noire, p. 10.
4. Île proche de Bornéo d'où les forces britanniques, au XIXe siècle, luttaient contre la piraterie. Labuan est, aujourd'hui, une place financière offshore.
5. Matthieu Letourneux, Introduction à « La reine des Caraïbes », p. 624.
EXTRAIT    Le pirate pressait sur son cœur la belle fugitive et essuyait les larmes qui perlaient à ses cils.
   — Écoute, mon amour, lui disait-il, ne pleure plus, je te rendrai heureuse, immensément heureuse et je serai à toi pour toujours, tout à toi. Nous irons loin de ces îles, nous ensevelirons mon atroce passé et jamais plus nous n'entendrons parler ni de mes pirates ni de ma sauvage île de Mompracem. Ma gloire, ma puissance, mes vengeances sanguinaires, mon nom redouté, j'oublierai tout pour toi ; pour toi, je veux devenir un autre homme. Écoute-moi, ô jeune fille adorée ! Jusqu'à maintenant j'ai été cruel, terrible, j'ai été le Tigre … je ne le serai plus … je réprimerai les élans de ma nature sauvage, je sacrifierai ma puissance, je quitterai cette mer, cette mer qu'un jour j'étais orgueilleux d'appeler ma mer ; j'abandonnerai mes bandes terribles à qui je dois mon triste renom. Ne pleure pas, Marianne, l'avenir qui t'attend ne sera pas sombre, ni terrible, il sera, au contraire, riant et heureux. Nous irons loin, si loin que nous n'entendrons plus jamais parler de nos îles, de ces îles qui nous ont vus grandir, vivre, aimer et souffrir. Nous perdrons patrie, amis, parents, mais qu'importe ? Je te donnerai une autre île, plus gaie, plus riante, où je n'entendrai plus jamais le rugissement des canons, où je ne verrai plus dans mes rêves la foule des victimes que j'ai immolées. Non ! Je ne verrai plus rien de tout cela et je pourrai te dire et te redire sans cesse, du matin au soir : « Je t'aime ! Je t'aime et je suis ton époux. » Oh ! redis-moi, toi aussi, cette parole si douce que je n'avais jamais entendue pendant toute ma vie orageuse.
   La jeune fille s'abandonna dans les bras du pirate, lui disant entre ses sanglots :
   — Je t'aime Sandokan ! Je t'aime comme jamais femme n'a aimé sur la terre !
   Sandokan la serra sur son cœur ; ses lèvres effleurèrent ses cheveux d'or et son front de neige.
   — Maintenant que tu es à moi, gare à qui te touchera ! reprit le pirate. Aujourd'hui nous sommes sur la mer, mais demain nous serons dans mon aire inaccessible où personne n'aura l'audace de venir m'attaquer. Puis, quand tout péril aura disparu, nous irons où tu voudras, ô ma bien-aimée !
   — Oui, murmura Marianne ; oui, nous irons loin, si loin que nous n'entendrons plus parler de nos îles !

Les tigres de Mompracem, pp. 353-354
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Gli strangolatori del Gange » version originale (1887) de I misteri della jungla nera, Torino : Andrea Viglongo (Salgari & Co., 6), 1994
  • « I misteri della jungla nera », Genova : Antonio Donath, 1895
  • « Les mystères de la jungle noire », trad. de l'italien par J. de Casamassimi, Paris : Montgredien, 1899
  • « La tigre della Malesia » version originale (1883-1884) de Le tigri di Mompracem, Torino : Andrea Viglongo (Salgari & Co., 2), 1991
  • « Le tigri di Mompracem », Genova : Antonio Donath, 1901
  • « Les tigres de Mompracem » trad. de l'italien par Edouard Guénoud, Paris : Jules Tallandier (Bibliothèque des grandes aventures), 1905
  • « Il corsaro nero », Genova : Antonio Donath, 1898
  • « Le corsaire noir » trad. de l'italien par Jean Fargeau, Paris : Charles Delagrave, 1902
  • « La regina dei Caraibi », Genova : Antonio Donath, 1901
  • « La reine des Caraïbes » trad. de l'italien par Jean de Casamassimi, Paris : Jules Tallandier, 1903

mise-à-jour : 1er août 2012

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