Le
devisement du monde, tome VI et dernier : Livre d'Ynde, Retour
vers l'Occident / Marco Polo ; édition critique
publiée sous la direction de Philippe
Ménard ;
édité par Dominique Boutet, Thierry Delcourt et
Danièle James-Raoul. - Genève : Droz,
2009. -
CXXXVIII-404 p. : ill., cartes ;
18 cm. - (Textes
littéraires français, 597).
ISBN
978-2-600-01249-2
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… en
ceste mer de Cin … il y a .VIIM.IIIIC.XLIX.
illes, …
☐
Le devisement du monde, 160,
p. 9 |
Diplomates et commerçants, Marco Polo et ses
frères
ont quitté Venise en 1271 et séjourné
dix-sept ans
à la cour du Grand Khan en Chine.
Appréciés par
leur hôte qui leur a confié de nombreuses
missions, tout
semblait devoir les retenir auprès de lui, mais des
circonstances imprévues ouvrent la voie du retour,
vraisemblablement au début de l'année 1291. Le
voyage
aller s'était effectué par terre, en suivant
la route de la soie ;
le retour se fera par la mer. C'est l'occasion d'une approche plus ou
moins étroite du monde des îles, remarquable par
son
étendue, par le nombre — en cette mer de
Chine … il y a 7449 îles —,
par la diversité qui s'y observe dans la nature et chez les
hommes, par les prodiges qui y abondent. Le tome VI du récit
présente les temps forts de cette navigation
ponctuée
d'escales, de Sypangu
— littéralement, le pays du Soleil levant —
à la cité
de Hormes
— l'île d'Ormuz — en
évoquant au passage,
pour y avoir séjourné plus ou moins longuement ou
pour en
avoir entendu parler, l'Indonésie, Ceylan, Zanzibar ou
Socotra.
L'introduction souligne les principaux apports du
texte : le regard porté sur la mer et la navigation, l'évaluation
de l'extension de la
puissance mongole, enfin l'observation des religions et
des croyances. Dans
chacun de ces domaines, Marco Polo s'efforce, non sans
difficulté à l'occasion, de clarifier les
contours de
réalités étrangères
à son
expérience antérieure, et plus encore
à celle de
ses lecteurs. La géographie qui se dessine est mouvante, les
distances s'y évaluent en journées de navigation,
et leur
appréciation reste tributaire de l'axe et de la puissance
des
vents. La mise en perspective s'avère non moins hasardeuse
quand
l'attention se porte sur les particularités naturelles ou
sociales des mondes qui se dévoilent aux escales
successives,
surtout quand Marco Polo doit rapporter les propos de tiers pour
évoquer des lieux où lui-même ne s'est
pas rendu
— ainsi est-il involontairement responsable d'une
confusion
qui a durablement brouillé les cartes entre Mogadiscio et
Madagascar. Plus généralement son voyage se
déroule au sein d'un monde où réel
et imaginaire se côtoient inextricablement, comme si
toutes
les rêveries utopiques restaient à
portée de
découverte.
Jacques Le
Goff a parlé d'horizon
onirique
pour qualifier la projection de l'imaginaire occidental sur le monde
oriental. Premier voyageur de l'Europe médiévale
dans ces
contrées, Marco Polo n'échappe pas à
ce risque et
aux dérives qu'il entraîne ; bien plus
que le
continent où il a longuement séjourné,
les
îles lui ont alors fourni un terrain de
prédilection,
celles où il s'est aventuré et plus encore celles
dont on
l'a entretenu — Andaman ou Zanzibar par exemple. Les
écarts, déformations et manques qui en
résultent
peuvent frustrer l'attente des lecteurs d'aujourd'hui, mais ils font
partie intégrante d'un témoignage
précieux et
dévoilent l'autre face du voyage : l'œil
du voyageur
… ou ses œillères. L'important
appareil
critique qui accompagne cette nouvelle édition permet de
prendre
une juste mesure du problème et d'en évaluer la
portée.
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EXTRAIT |
Chapitre
de l'ylle de Scoira [Socotra]
Quant l'en se part de l'ille Maale et Femele et l'en va
entour .VC.
milles par midi, si trueve l'en l'ylle de Scoira. Il sont touz
crestiens baptiziés et ont arcevesque. Ils ont moult
d'ambre, et
si ont dras de coton assez et autres marcheandises aussi, grant
quantité de poissons salez craz et bons et vivent de char et
de
riz et de lait. Il n'ont nul blé et vont tout nu en la
maniere
des autres Yndiens. Il s'i fait granz marcheandises — car il
y
vient assez navies de toutes pars (…) —
que il
vendent a ceulz de ceste ylle. Cest arcevesque n'a que faire a
l'Apostoile de Romme, mais est soupost au grand arcevesque de Baudas
[Bagdad]. Cest arcevesque de Baudas mande a cestui et en pluseurs
parties du siecle par dela, aussi comme fait nostre pape de Romme
deça. En nostre ylle y viennent coursaus [corsaires] assez
qui
font champ et vendent leur gaaing que il ont robé, car les
crestiens de ceste ille les rachatent, pour ce que il sevent bien que
c'est tout avoir de sarrazins ou ydolastres.
Et
sachez que il sont en ceste ylle des meilleurs enchanteurs du monde.
Bien est voirs que l'arcevesque leur deffent, mais il dient que leur
ancesseurs le faisoient, si le veulent faire. Si vous dirai de leur
enchantemens un petit. Se une nef alast a voile et eust bon vent assez,
il feroient venter contraire et la nef retourner. Et font venter quel
vent que il veulent et le font abaissier quand il veulent, et font
faire, quand il veulent, granz fortunes et grans tempestes et autres
enchantemens, liquel ne sont pas bon a compter. Autre chose n'i a, si
vous dirons de l'ylle de Madeigascar.
☐ pp. 53-54 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Le
devisement du monde » éd. critique sous
la direction
de Philippe Ménard, tomes I à VI,
Genève :
Droz, 2001-2009
|
→ Philippe Ménard,
« L'édition du Devisement du Monde de
Marco Polo », Comptes-rendus
des séances de l'Académie des inscriptions et
belles-lettres, 2005, 149-1, pp. 407-435 [en
ligne]
|
- « Le
devisement du monde » version franco-italienne
éd. et
trad. par Joël Blanchard et Michel Quereuil avec la
collaboration
de Thomas Tanase, Genève : Droz (Texte courant, 8),
2019
- « Le
devisement du monde » éd. par
René Kappler, Paris : Imprimerie nationale (Voyages et découvertes), 2004
- « La
description du
monde » éd. par Pierre-Yves Badel,
Paris : Librairie générale
française (Le
Livre de poche, 4551), 1998
- «
Le devisement du monde, le livre des merveilles » (2
vol.)
texte intégral établi par A.-C. Moule et Paul
Pelliot,
version française de Louis Hambis, Paris : La
Découverte,
1997
|
- Frank
Lestringant, « Dérives insulaires
à partir de Marco Polo dans quelques atlas nautiques de la
Renaissance », in Daniel Barbu, Nicolas Meylan et
Youri Volokhine (dir.), Mondes clos :
les îles, Gollion : InFolio,
2015
- Pierre Racine, « Marco Polo et
ses voyages », Paris : Perrin, 2012
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mise-à-jour : 7
août 2019 |
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