Miguel de Cervantes

« Les Épreuves et travaux de Persilès et Sigismunda, Histoire septentrionale », in : Œuvres romanesques complètes, II

Gallimard - Bibliothèque de la Pléiade

Paris, 2001
bibliothèque insulaire

      

errances
Islande
parutions 2001
Nouvelles exemplaires (suivies de) Persilès [Œuvres romanesques complètes, II] / Cervantès ; publ. sous la dir. de Jean Canavaggio ; trad. de l'espagnol et annoté par Claude Allaigre, Jean Canavaggio et Jean-Marc Pelorson. - Paris : Gallimard, 2001. - 1060 p. ; 18cm. - (Bibliothèque de la Pléiade).
ISBN 2-07-011423-6
[Cervantes] was the inventor of novels for the Spaniards,
and in his Persilis and Sigismunda, the English may find the germ of their Robinson Crusoe.

Samuel Taylor Coleridge, Miscellaneous criticism
ed. by Thomas Middleton Raysor (1936), p. 110

Un impérieux désir d'îles s'exprime au fil des aventures de Don Quichote et permet à l'ingénieux hidalgo de conforter la résolution, à ses yeux trop incertaine, de Sancho Pança. De ce désir naît encore l'extravagante Barataria. D'autres îles, moins improbables, émergent dans l'œuvre de Cervantès, fruit du souvenir de ses navigations en Méditerranée, telles Chypre ou la Sicile qui servent de cadre à l'une des Nouvelles exemplaires, L'Amant généreux (ou L'amant libéral).

Les Épreuves et travaux de Persilès et Sigismunda, s'inscrivent de plain pied dans le monde des îles — aux confins du monde connu de l'époque, comme le souligne le sous-titre : Histoire septentrionale … Cette histoire prend son essor à Thulé — à présent nommée vulgairement Islande — et dans l'île voisine de Frislanda — située un peu plus bas sous le même Nord.

Quatre livres composent le récit des épreuves qu'affrontent Persilès (Periandro) et Sigismunda (Auristela). Les deux premiers livres errent d'île en île au gré des vents, des attaques de pirates et autres fortunes de mer ; arrachés à Thulé et à Frislanda, Periandro et Auristela abordent tour à tour ou simultanément, se perdent ou se retrouvent, à l'île des barbares, à l'île des neiges ou à l'île des Ermites.

Au terme du Livre II, les héros débarquent à Lisbonne et prennent le chemin de Rome, par l'Espagne et le sud de la France. Le temps s'écoule alors sur un rythme apaisé. Loin de la mer, les péripéties sont moins âpres, leur dénouement se fait moins attendre. Dès le chapitre I du Livre III, cette suspension des périls est mise à profit pour une remise en perspective des aventures insulaires ; et à l'approche de l'heureuse conclusion du périple, Cervantès propose à ses lecteurs un ultime regard sur les grandes îles du nord où se sont tramées les aventures de Persilès et Sigismunda.

JEAN-MARC PELORSON : […]

Cervantès n'ayant jamais eu l'occasion de visiter les contrées septentrionales dont il est question dans toute la première partie de son roman, son information ne pouvait être que livresque, et l'on est parvenu à repérer ses principales sources. Il faut citer en premier lieu l'Historia de gentibus septentrionalibus (Histoire des peuples du Septentrion, 1555) d'Olaus Magnus, archevêque d'Uppsala, ouvrage en latin qui fut également traduit en italien et qui connut un énorme succès, et la relation du navigateur Niccolò Zeno, cadet des célèbres frères Zeno, qui fut publiée pour la première fois en 1558 et souvent rééditée, ou incorporée à d'autres récits. C'est à cette relation que Cervantès a sans doute emprunté, en particulier, son évocation du monastère de Saint-Thomas au Groenland (IV, XIII). […] Il convient d'ajouter que la seconde moitié du XVIe siècle a été la grande époque des expéditions anglaises à la recherche d'un passage entre l'Europe et l'Asie par le Septentrion tant occidental qu'oriental, et que l'attrait de cet exotisme nordique s'est fait sentir jusqu'en Espagne. Mais les progrès qui en résultaient pour la cartographie demeuraient rudimentaires, les erreurs et les confusions étaient fréquentes, en sorte qu'il est difficile aujourd'hui, lorsque l'information de Cervantès se révèle floue ou fantaisiste, de savoir si c'est le romancier qui exerce là ses droits à l'invention ou s'il demeure tributaire de sources livresques approximatives.

[…]

« Persilès et Sigismunda », Notice, p. 995

EXTRAIT

(…) ils allèrent au logis d'un peintre réputé : Periandro lui commanda un grand tableau, où il peindrait toutes les principales aventures de son histoire. D'un côté, il peignit l'île barbare en proie aux flammes, et, à proximité, l'île des prisonniers, et, un peu à l'écart, le radeau ou l'assemblage de bois où l'on avait trouvé Arnaldo, quand celui-ci le recueillit à bord de son navire ; ailleurs figurait l'île des Neiges, où l'amoureux Portuguais avait perdu la vie ; puis le vaisseau que les soldats d'Arnaldo avaient percé ; juste à côté, il peignit la séparation de l'esquif et de la barque ; on voyait là le défi des amants de Taurisa et leur mort ; ailleurs on sciait par la quille le navire qui avait servi de sépulture à Auristela et à ses compagnons ; plus loin encore était l'île plaisante et agréable où Periandro avait vu en songe les deux escadrons des vertus et des vices ; à côté, le navire où les poissons naufrages avaient pêché les deux marins, et les avaient ensevelis dans leur ventre ; on n'oublia pas dans la peinture la scène des naufragés pris dans la mer de glace, l'assaut et le combat du navire, la reddition à Cratilo ; il peignit semblablement la course téméraire du puissant cheval, que son effroi changea, de lion, en agneau ; rien de tel qu'une frayeur pour mater ces bêtes-là ; il peignit, en manière d'esquisse et de miniature, les fêtes de Policarpo, où il s'était lui-même couronné vainqueur ; bref, il n'y eut épisode mémorable de ceux où il fut à l'épreuve en son histoire, qui ne fût peint là, sans oublier la ville de Lisbonne où on les voyait débarquer, accoutrés tels qu'ils étaient à leur arrivée ; sur le même tableau on vit aussi brûler l'île de Policarpo, Clodio transpercé par la flèche d'Antonio, et Zenotia pendue à une antenne ; on peignit aussi l'île des Ermites, et Rutilio en la figure d'un homme saint.

Livre III, ch. I, pp. 718-719

COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Los trabajos de Persiles y Sigismunda, historia setentrional », Madrid : Juan de la Cuesta, 1617
  • « Los trabajos de Persiles y Sigismunda » éd. par Juan Bautista de Avalle-Arce, Madrid : Castalia, 1969
  • « Los trabajos de Persiles y Sigismunda » éd. par Carlos Romero Muños, Madrid : Cátedra, 1997
  • « Les travaux de Persille et Sigismonde, histoire septentrionale » trad. et présenté par Maurice Molho, Paris : José Corti (Ibériques), 1994
  • « Don Quichotte de la Manche » édité et traduit de l'espagnol par Claude Allaigre, Jean Canavaggio et Michel Moner, Paris : Gallimard (La Pléiade), 2015

mise-à-jour : 29 octobre 2018

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