E. M. Cioran

Cahier de Talamanca, Ibiza (31 juillet-25 août 1966)

Mercure de France - Le Petit Mercure

Paris, 2000
bibliothèque insulaire
   
Méditerranée

Baléares

parutions 2000

Cahier de Talamanca, Ibiza (31 juillet-25 août 1966) / Cioran ; texte choisi et présenté par Verena von der Heyden-Rynsch. - Paris : Mercure de France, 2000. - 58 p. ; 16 cm. - (Le Petit Mercure).
ISBN 2-7152-2197-5
Les notes prises par Cioran durant quelques semaines de l'été 1966 à Talamanca (Ibiza) mêlent les registres : impressions, souvenirs de lecture (Leopardi, Benjamin Constant, Nietzsche, Borges, Joyce, Lichtenberg, Pascal, Thomas Mann, …), cauchemars, spéculations philosophiques, politiques ou sociales ; elles reflètent le plus souvent son mal de vivre et accordent peu de place aux rencontres avec la vie de l'île, sinon pour dénoncer sous une forme convenue les méfaits de l'essor du tourisme.

Mais ce qui retient l'attention, c'est le vif débat qui s'instaure, aussitôt arrivé, entre son pessimisme naturel et sa perception des attraits du lieu — crainte diffuse d'y céder. Le ton est donné dès le premier soir : « pendant que je faisais toutes sortes de réflexions amères, je regardais ces pins, ces rochers, ces vagues " visitées " par la lune, et sentis soudain à quel point j'étais rivé à ce bel univers maudit » (p. 13). Latent, le conflit prend très vite une tournure personnelle. Cioran semble comme interpellé par l'île : « ma stérilité ressentie comme une faute dont je perçois la gravité encore mieux sous ce soleil universel d'Ibiza » (p. 17). Suivent plusieurs constats acerbes : « Cette île que j'ai aimée tant, n'est pas mon " genre " » (p. 30) ; « Ibiza me réussit aussi mal que Valldemosa à Chopin » (p. 32) ; mais, plus tard : « Quelle chance de souffrir dans un cadre pareil ! » (p. 39).

A quelques jours d'un départ inéluctable la tension — la crise 1 — atteint son plus haut niveau : « Il ne faudrait pas aller dans des lieux où le bonheur paraît concevable » (p. 53) ; jusqu'à ce surprenant aveu : « Par malheur, cet endroit est trop beau pour qu'on puisse s'en arracher sans déchirement. (…) Le moi se dissout dans le paradis ou dans tout ce qui y ressemble. C'est peut-être pour se sauver qu'Adam commit le geste qu'on sait. Il craignait sa ruine par le bonheur » (pp.54-55).
       
1. Ce Cahier (…) est le témoignage d'une crise, crise d'une intensité telle que les “ Cahiers ” ultérieurs [publiés en 1997] y feront allusion parlant alors de “ Nuit de Talamanca ”. — Verena von der Heyden-Rynsch, Préface, p. 9
EXTRAIT    Un maçon d'Ibiza raconte qu'il y a dix ans, avant l'invasion des touristes, les habitants étaient gentils, affables, vous invitaient à manger avec eux, laissaient la maison ouverte nuit et jour ; maintenant, ils la ferment à clef, sont devenus égoïstes, vous parlent à peine, sont renfermés et soupçonneux, et mangent mieux. Mais, qu'ils vivent mieux, qu'ils soient plus heureux, c'est douteux. Avant, ils gagnaient peu, mais n'avaient pas de besoins ; aujourd'hui, ils en ont beaucoup, qu'ils doivent satisfaire. Aussi travaillent-ils beaucoup plus qu'avant, ils se fatiguent, se crèvent, mais, pas plus que les touristes, ils ne peuvent se reposer. Le silence a disparu de l'île : nuit et jour les avions la survolent et font un vacarme, qui est le prix que les indigènes payent pour le privilège qu'ils ont obtenu de pouvoir manger à leur faim.
   Les ravages de la « civilisation » sont si évidents qu'on a honte de les signaler encore.

   Un critique anglais parle très justement des « staccato sentences » de Joyce. C'est ce style haché, ces phrases discontinues, mises les unes à la suite des autres, comme s'il s'agissait d'une démonstration, qui m'en rendent la lecture si pénible.

   14 août. Cette nuit, j'ai été très attentif au chant du coq. Il était si sincère, si plein d'entrain, que je ne puis concevoir qu'il ne s'adresse à personne, qu'il chante pour lui seul. Il a visiblement quelque chose à communiquer, bien que son registre soit le même et qu'il n'ait pas l'air de changer de formule. N'empêche ! Tant de conviction doit correspondre à une réalité et traduire quelque message. On ne peut croire qu'il s'agisse d'un simple exercice.

pp. 33-35
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Cahier de Talamanca - Ibiza », in Cahiers de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, 1, 1997
  • « Histoire et utopie », Paris : Gallimard (Folio, Essais, 53), Paris, 1992
  • « Cahiers 1957-1972 » avant-propos de Simone Boué, Paris : Gallimard, 1997

mise-à-jour : 8 avril 2014
   ACCUEIL
   BIBLIOTHÈQUE INSULAIRE
   LETTRES DES ÎLES
   ALBUM : IMAGES DES ÎLES
   ÉVÉNEMENTS

   OPINIONS

   CONTACT


ÉDITEURS
PRESSE
BLOGS
SALONS ET PRIX