Eloge
des voyages insensés, ou L'île / Vassili
Golovanov ;
traduit du russe par Hélène
Châtelain ;
annexes traduites du russe par Denis Dabbadie et Caroline
Bérenger. - Paris : Verdier, 2007. -
505 p. :
carte ; 22 cm. - (Slovo).
ISBN
978-2-86432-443-0
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C'est
l'idée de l'île que j'ai aimée, bien
avant d'y avoir mis le pied …
Ainsi
le hasard m'a poussé dans le premier piège.
Et,
très vite, je suis tombé dans le second :
le
rêve du voyage à accomplir.
☐ p.
24 |
L'île
Kolgouev se trouve au sud-est de la mer de Barents, à moins
de
cent kilomètres de la côte russe. Là
mène le
voyage
insensé de Vassili Golovanov
— pour s'y perdre ?
Depuis
Moscou, le voyage est interminable : le train jusqu'à la
ville de Petchora et, de là, le bateau qui remonte le fleuve
jusqu'à Narian-Mar ;
un hélicoptère enfin pour effectuer la
dernière
étape de ce que l'auteur vit confusément comme
une fuite
vers le bout du monde.
Puis l'île
— en
longueur 100 verstes, et en travers : 50 verstes —,
va lentement détendre tous les ressorts qui ont
armé la
détermination du voyageur. Le voyage
rêvé tourne en
déroute ; déroute des sens vaincus par
l'épuisement ; déroute de
l'âme
exténuée par l'indicible. C'est seulement alors
que peut
commencer un autre voyage, juxtaposition d'éblouissements au
bord du chaos, hors du temps.
Les épreuves ne
cessent pas
quand vient le temps du retour. Liens à dénouer
avec Alik
et Tolik les Nenets qui ont fraternellement guidé les pas du
voyageur dans
un monde réputé
impénétrable et dont la fin
prochaine est pressentie. Liens à renouer avec l'univers d'avant, les
êtres quittés, la femme
aimée : “ Mon
aimée, quel bonheur que je sois allé
là-bas !
Et quel bonheur, après tout ce qui nous est
arrivé, que
nous nous soyons, malgré tout,
retrouvés … ”
❙ |
Vassili
Golovanov
est né en 1960, il vit à Moscou ou en voyage.
“ Depuis l’effondrement du communisme et
la chute du
Mur de Berlin, dit-il, nous n’avons plus
d’ailleurs.
C’est cet ailleurs, sans lequel aucune création
n’est possible, que nous cherchons ”.
Vassili
Golovanov
est mort le 13 avril 2021. — Éd. Verdier |
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EXTRAIT |
Nous avons
marché près de six heures, fait une halte,
marché trois heures encore.
Mon
journal ne contient que dix-huit lignes sur cette première
journée de marche, la moitié d'une feuille de
cahier. Non
que cette journée ait été pauvre en
impressions : au contraire, ce fut l'une des
journées de ma
vie les plus étonnantes, les plus signifiantes.
J'étais
tout simplement très fatigué et ne savais quoi
noter, ni
comment le faire, ni quelle langue employer. La langue du journal,
presque banale, en témoigne : Cimetière
de vieux-croyants : rivage des racines d'or ; fond de
mer
primaire ; rivage des troncs d'arbres ; rivage des
pierres
découpées en tranches de fromage (cassure
verticale) ; berge aux petites fleurs lilas, vent. Deux
cygnes.
Ultime effort de Petka. Monde vierge. Perte du sens du réel.
Sentiment que tout ce qui m'arrive aujourd'hui n'aurait jamais pu
arriver, dans aucune autre circonstance. Mais que c'est
arrivé.
Propositions purement indicatives, qui ne sont même pas
là
pour exprimer une pensée élaborée mais
désignent avec plus ou moins de concision ce que les yeux
découvrent :
« cela »,
« cela ». Images
élémentaires d'une
langue-espace …
Je savais
que pour décrire
l'expédition j'aurais besoin d'un autre langage, autre que
tous
ceux qui (existant à l'intérieur de la langue) me
sont
plus ou moins connus. Je comprenais qu'une langue où ont
été mis sur orbite des mots tels que
« conversion » et
« convergence » ne me serait
d'aucune
utilité pour décrire la
berge aux petites fleurs lilas, mais
à dire vrai je ne m'attendais pas à
être
acculé à une rupture aussi profonde, à
une telle
impuissance d'enfant.
La
berge aux petites fleurs lilas !
On dirait vraiment un babil enfantin, imprécis,
approximatif. En
fait, ces petites fleurs n'ont même pas de nom et qu'on me
tue si
j'arrive aujourd'hui à dire de quelles fleurs il
s'agissait : tout ce que je sais, c'est que ce
n'étaient ni
des myosotis, ni des campanules, ni des gentianes, mais des fleurs que
l'on pourrait dire lilas.
Quelles
fleurs exactement ? Je l'ignore.
C'est
excusable. La
berge aux petites fleurs lilas, c'est
l'endroit où mes yeux se sont peut-être ouverts
pour la
première fois. Parce qu'un sac à dos trop lourd
rend
aveugle. On avance et on ne perçoit rien. Que les pas. Et le
souffle. En chemin, nous sommes tombés sur un ruisseau. Nous
avons essayé de le franchir à
gué … en
vain. Nous avons remonté le courant. Nous pensions qu'en
amont,
le ruisseau devenait moins profond, plus étroit ;
au
contraire, il s'est transformé en étang, puis en
lac,
s'allongeant entre les contreforts de la toundra. Et pendant que nous
étions là, hésitants, j'ai
enlevé mon sac
à dos et j'ai vu …
Un endroit
magique. Un
vallon vert et ce ruisseau en crue, une eau incroyablement claire et
froide dans laquelle se reflète le ciel, le vrai ciel, un
ciel
profond, perçant sous la toison hirsute des nuages, et ces
toutes petites fleurs dans le velours vert de la
mousse …
Il y en avait une quantité incroyable et cela rendait cette
berge … cela la rendait magique, oui, du moins
c'est ainsi
que je l'ai vue parce que mes yeux s'étaient ouverts. Nous
marchions depuis longtemps déjà et cela aussi
avait son
importance, nous étions entré dans un
« monde
vierge », un espace sans plus aucune
présence humaine.
☐ pp. 174-175 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Aleksandr I.
Tolmachev,
« Eine Sommerreise
nach der Insel Kolguev, 1925 », Stockholm, 1927
- Aubyn
Trevor-Battye, « Ice-bound on Kolguev : a
chapter in
the exploration of Arctic Europe, to which is added a record of the
natural history of the island », London : A.
Constable, 1895
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mise-à-jour
: 15 avril 2021 |
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